Chapitre 6, partie 1

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Chapitre 6

Partie 1

Samedi matin, alors qu'Elise descendait les escaliers de bonne heure, elle fut interceptée par son père qui lui fit signe de le rejoindre dans la pièce faisant office de bureau. Son expression était tendue et sa démarche, loin d'être relaxée, laissait son état d'âme facilement lisible. Il était mécontent.

Elise soupira. Elle savait bien qu'elle ne pouvait l'éviter indéfiniment mais rien ne l'avait empêchée d'essayer.

Tout du moins jusqu'à présent.

Suivant son initiative, elle rejoignit la pièce indiquée en ayant l'impression de soudainement faire partie d'une société dont le patron allait la licencier. Pas qu'elle déjà vécu l'expérience, mais elle imaginait que l'anxiété, le mauvais pressentiment et l'impression de défaite faisaient partis de la panoplie d'émotions ressenties avant une telle entrevue.

La faire se sentir petite n'était pas l'objectif de son père puisqu'il ne s'assit pas derrière le bureau mais resta debout. Néanmoins, bien que le haut de ses jambes appuyé contre le meuble donne un air décontracté à sa posture, son expression était sévère. Ses yeux, en revanche, laissaient voir le tracas qu'il éprouvait pour la suite des évènements. Il n'était pas sûr comment procéder.

— Comment vas-tu? se racla-t-il la gorge.

Clairement, c'était une question vide de sens, dont il n'attendait pas vraiment la vérité.

— Bien. Et toi? Le travail?

— Ça roule. On va devenir le fournisseur principal d'un nouveau client. Du coup, plus de commandes.

— C'est super.

Apparemment, George avait changé de secteur puisqu'auparavant, il travaillait comme chercheur attaché à une pharmacie et, bien qu'elle n'était pas sûre en quoi cela consistait, ce qu'il venait de dire n'y ressemblait guère. Et il ne semblait pas le genre à devenir fournisseur indépendant de substance illicite sans l'accord des pharmacies.

L'échange de phrases était aussi pénible et bizarre qu'il paraissait. Le genre de conversation que l'on avait avec une connaissance croisée, par hasard, dans le métro et avec laquelle il fallait alimenter une discussion jusqu'au prochain arrêt.

Elise fut presque soulagée quand il reprit la parole. Mais son visage de père, déjà sévère, se transforma.

Sa face devint soudainement plus pincée et ses lèvres serrées trahissaient son âge par des rides creuses où une rigidité, qui n'apparaissait pas lorsqu'il souriait, y régnait en maître.

— C'est à propos de cette semaine. Les choses ne peuvent pas continuer ainsi. Tu étais absente l'entier de semaine et je n'avais aucune idée de l'endroit où tu trouvais. Tu es sous ma responsabilité et tu ne peux pas simplement déguerpir.

— J'ai laissé un message à la cuisine.

— Sans mentionner d'heure ou l'endroit où tu étais. Les choses doivent changer. Je veux que tu te sentes bien ici et que tu t'entendes avec tout le monde. C'est pas possible si on ne partage aucun moment ensemble. Tu dois être ici au moins pour le souper.

Elle tenta une nouvelle vague-attitude.

— Je donnerai plus de précision la prochaine fois.

Cela ne fonctionna pas.

— C'est ce que tu as dit la semaine passée et cela ne change rien au fait que tu seras absente. Ne me dis pas que ça sera toujours comme ça.

Et elle ne pouvait pas. Son père n'était vraiment pas content. S'étant redressé de toute sa hauteur, sa taille surplombait celle d'Elise, lui donnant l'impression d'être toute petite.

Une main, fermement posée sur le bureau à l'endroit où ses jambes avaient quitté leur appui, était crispée de manière à ce que ses veines bleues gonflèrent sous l'effet de la crispation de ses membres.

— Non. Ça ne sera pas tous les soirs mais certains soirs malgré tout.

— Je peux faire avec ça pour le moment. Mais je veux voir une amélioration. Sinon il va falloir trouver une autre solution. Tu sais que tu n'as pas besoin de travailler ? Tu peux reprendre tes études ou faire un apprentissage.

Elise ne répondit pas. Pour dire quoi?

— Tu as le temps. Une année. Il y a toujours d'autres petits boulots que tu puisses faire en attendant si tu veux.

Encore une fois, Elise ne répondit pas.

Pourquoi est-ce toujours elle qui devait s'adapter?

Mais ce qui l'agaçait le plus, était que reprendre ses études était bien une option qu'elle envisageait. Une parmi d'autres.

Qu'avait dit Adrien? Un plan B?

En revanche, hors de question qu'elle quitte son job maintenant. Laver des assiettes ou ranger des cadis paraissait bien moins chouette.



Pas assezOù les histoires vivent. Découvrez maintenant