Chapitre 25
Adrien revint avec plusieurs grandes boites qu'il déposa soigneusement sur le comptoir de la cuisine en une seule pile. Puis, celle-ci fut divisée en trois lorsqu'il posa les boites les unes à côté des autres. Ensuite, il souleva leur couvercle qu'il laissa tomber à même le sol et sortit différents dossiers.
- Ce sont tous des clichés que j'ai pris. Parmi les premiers d'ailleurs. Ils ne sont pas assez bien pour en faire quoique ce soit mais je ne peux pas me résoudre à m'en défaire.
Elise resta là où elle était, assise sur le canapé, les jambes repliées sous elle, à l'observer. Sa tête aux cheveux courts se penchait dans un sens puis dans l'autre. Il sélectionna certains clichés, en reposa d'autres. Les images choisies était posées sur la table, en vrac, et une fois qu'un bon tas s'était formé, il referma les dossiers qu'il replaça dans les boîtes et celles-ci rejoignirent les couvercles qui jonchaient le sol. Néanmoins, elles furent posées avec plus de délicatesse que ces derniers.
Elise le regarda se redresser, dos à elle, et elle n'était plus aussi préoccupée par ce qu'il faisait. Son T-shirt était froissé au dos et elle était convaincue que l'état du tissu était encore plus pittoresque à l'avant. Là où elle avait agrippé le tissu de toutes ses forces. Là où elle avait enfoui son visage. Son dos s'étendait avec des épaules larges et, alors qu'il avait été protecteur l'instant d'avant, elle y voyait dorénavant la force qu'il représentait.
- Viens.
Elise cligna des yeux, le temps de reprendre ses esprits, et fit ce qu'il demanda. Elle le rejoignit avec lenteur, ses jambes raides.
Devant elle, les clichés avaient été répartis, soit à droite, soit à gauche et forma ainsi deux piles bien distinctes.
- Aucune photo n'a été retouchée ou modifiée. Pas de Photoshop, pas d'ajustement de lumière. Rien.
C'était des photos de différents modèles féminins et comme l'avait précisé Adrien, elles ne reçurent pas d'ajustement. Leur peau n'était pas lisse et sans impureté. Comme la sienne et celle des autres êtres vivants, des aspérités de la peau étaient visibles et des inégalités de teint.
Elise remarqua très vite la différence entre les modèles des deux piles qu'Adrien avait créées. À gauche, les femmes étaient minces. Leur forme harmonieuse et naturelle.
À droite, les figures étaient plus angulaires avec des os protubérants. Sur l'une des photos, la peau paraissait aspirée entre les côtes. Les formes remplacées par des angles, les filles étaient trop minces, souffrantes d'une maigreur qui n'était pas naturelle.
Un lourd silence pesait. Elise n'était pas sûre où il voulait en venir et attendit, tendue comme un arc, la suite.
Après une attente qui lui parut interminable, il bougea. Son bras s'allongea avec dans sa main un nouvel amas d'images. Il les déposa au milieu, entre les deux piles, bien en évidence devant elle.
Les photos étaient d'elle. Celles qu'il avait prises le jour où elle l'avait embrassée. À présent, Elise voyait où il voulait en venir. Mais il avait tort.
Elise n'en était pas là. Elle ne l'était pas. Elle faisait juste attention. Et c'était évident sur les images. Elle ne ressemblait pas aux filles de la pile de droite.
Comme s'il pouvait lire dans ses pensées, il bougea à nouveau. Au ralenti. Elise voulut se détourner. Cependant, comme spectateur d'un accident, elle ne put que regarder l'inévitable se dérouler.
En dernier, il posa une photo imprimée. De mauvaise qualité mais identifiable entre mille puisqu'Elise la reconnut sur-le-champ.
Dans un parc, sur de l'herbe, se tenaient deux personnes assises. La première était entailleur. La seconde se tenait sur ses genoux. Toutes les deux étaient penchées, en diagonal, dans un très mauvais équilibre et riaient sans retenue. La plus jeune, celle qui avait mis le compte à rebours sur l'appareil, était venue en courant et, avec trop de force, s'était effondrée au côté de la mère. Son élan s'était avéré trop fort et toutes les deux avaient perdu l'équilibre.
C'était l'image d'elle et de sa mère. Avec lenteur, il la posa tout en haut de la pile de gauche.
- Tu l'as d'où ?
- Est-ce important ?
Peut-être pas. Elle l'avait sur son profil Facebook. Rien de difficile à imprimer.
Elise voulait fermer les yeux et prétendre ne rien avoir vu. Ne pas comprendre. Mais elle était immobilisée, telle une statue de sel. Son visage se tordit et ses yeux finirent par se fermer.
Elle avait compris.
Elle implora mentalement d'Adrien qu'il reprenne la parole. D'une voix silencieuse, les lèvres scellées, elle lui criait de dire quelque chose. N'importe quoi. De lui faire des reproches et la morale. Qu'il dise quelque chose pour qu'elle puisse lui donner le change. Se défendre. Nier. Elle voulait pouvoir lui hurler dessus, le blesser avec ses mots et fuir. Lui donner la faute. L'éviter
Mais il ne dit rien. Il resta debout à ses côtés. Silencieux.
Et Elise fut confrontée à elle-même. Ses propres pensées et la réalité qu'il venait de lui placer en face. En image. Ses yeux se rouvrirent.
Oui, elle voyait la ligne sur laquelle elle se tenait en équilibre précaire. La ligne avec laquelle une danse malsaine avait pris place.
De quel côté allait-elle tomber ?
Parce que c'était bien au milieu qu'elle se trouvait. Elle n'était pas à droit. Pas encore. Mais elle avait quitté la gauche.
L'atmosphère se resserrait sur elle. Ses habits se collaient à ses membres moites dans une étreinte inconfortable. La déception vint caresser sa peau d'une langue dégoulinante qui lui donnait la nausée. Elle ne pouvait regarder Adrien malgré la sensation de son regard sur elle. Un regard déçu, dégouté.
Une main vint se poser au centre de son dos et remonta jusqu'à son épaule droite en un geste de soutien, d'écoute et de tendresse. Elise en sursauta. Sans réaliser, elle s'était appuyée de ses deux paumes sur le comptoir et ses doigts serraient la texture à en blanchir ses phalanges.
En prenant conscience des changements, de la main sur son épaule, elle réalisa que ce n'était pas d'Adrien que provenait le sentiment de répulsion. Non, il venait d'elle-même. Il transpirait de ses ports en une sueur froide.
Elise referma rapidement les yeux mais c'était trop tard. Des gouttes salées s'étaient déjà échappées pour tracer un chemin sur ses joues jusqu'à venir s'écraser sur la surface solide à côté de ses doigts.
La main affectueuse sur son épaule la tourna gentiment. Elise laissa son corps suivre le mouvement. Pourtant, honteuse, elle refusa de tourner son visage. L'homme à ses côtés ne l'y força pas, mais l'enlaça de ses deux bras pour la serrer contre lui et une de ses mains remonta le long de son bras, de sa nuque pour venir caresser sa tête avec douceur.
Contrairement à sa dernière explosion de larmes qui avait mouillé et froissé son vêtement, celle-ci était silencieuse. Pas de colère, pas de bruit, pas de hoquet. Mais comme la dernière fois, elle s'accrocha à son torse comme un noyé à sa bouée.
****
Voilà pour ce chapitre.
Je tenais à préciser, bien qu'il me semble avoir été assez claire avec mes mots, que je fais référence à une maigreur qui n'est pas naturelle. Donc pour les filles et femmes qui sont naturellement très minces, aucun doigt n'est pointé dans votre direction et si c'est votre impression vous vous trompez. Il y a une grande différence entre un état physique naturel et un corps qui subit des privations extrêmes, même que d'un point de vue visuel.
Bref, Je vous souhaite un bon mercredi et j'espère que vous appréciez toujours cette histoire et continuerez votre lecture. De même que de voter ;)
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Pas assez
Genç KurguÀ la mort de sa mère, Elise se trouve dans l'obligation d'aller vivre chez un père absent de son enfance. Un père qui vient avec une famille dont certains membres sont réticents à la voir débarquer. En cherchant l'indépendance, Elise s'embarque...