Chapitre 11

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Chapitre 11

- Ah, te voilà enfin Choupette. Aujourd'hui est totally important.

Lorsqu'ils arrivèrent, la paire de chaussures à talon qui avait toute l'attention du styliste devint, subitement, le dernier souci de celui-ci.

Ce qu'il avait toujours référé comme le graal du stylisme ou, parfois, comparait son importance à celui du maquillage pour une femme- le fait qu'elle n'en portait que très rarement ne semble pas lui avoir traversé l'esprit- autrement dit ce qu'il considérait aussi primordial que l'oxygène pour l'humain, ne brillait soudainement plus si clair. Quelque chose de bien plus étincelant avait attiré son attention.

D'une démarche toute aussi sautillante qu'ondulante, il vint vers eux et brandit sa main avec l'articulation de son poignet dans un angle parfaitement perpendiculaire.

- Hi Darling. Je suis Timo. Tu es ?

Il ne la regardait pas. Mais alors pas du tout.

Ses paupières paillonnaient sur la personne à sa droite sans que l'individu concerné en prenne conscience. Non, Adrien ne réalisa pas que s'était à lui que s'adressait le styliste avec un air amouraché.

Un rire gratouilla ses cordes vocales et Elise tenta de le dissimuler sous quelques toussotements et à l'abri de sa main gauche. D'un geste qu'elle voulait discret, elle donna un coup de coude dans les côtes de son agent. Celui-ci finit par voir la main devant lui, toujours tendue au bout d'un poignet à l'angle fort prononcé.

- Oh excusez-moi. Je suis Adrien l'agent d'Elise.

- Ne t'en fait pas Darling. Tout est pardonné. Je suis Easy.

Sans comprendre l'insistance appuyée sur le dernier mot, Adrien lui serra la poigne de sa propre main qu'il ne put retirer qu'après de longues secondes.

À ce moment-là, Elise sut que sa journée allait être spéciale. Elle eut raison. Jamais, elle ne s'était autant amusée à un showroom et cela n'avait rien avoir avec elle où ce qu'elle faisait.

Non rien n'était différent des habituelles et souvent fatigantes heures passées dans cet endroit, si ce n'était les deux hommes qui semblaient collés serrés au grand damne de l'un deux.

À chaque fois, il tardait à Elise que son tour de défiler revienne et elle cherchait des moyens à maximiser son temps sur la plateforme. Elle se trouvait toujours à un chouia près d'entamer la marche du retour à reculons, au lieu de tourner sur elle-même pour faire demi-tour.

Elise n'avait plus éprouvé ce genre d'enthousiasme pour le travail de mannequin-cabine depuis longtemps.

Timo sortait le grand jeu. À chacun de ses coups d'œil, il paraissait plus proche de son agent. Il était assis à une telle proximité d'Adrien, que leur genoux ne cessaient de s'entrechoquer avec planification. Peu importe le nombre de fois où son agent cherchait à se distancer, Timo se rapprochait et flirtait de plus belle ; effleurant son bras d'une main légère mais baladeuse pendant que l'autre torturait une de ses propre mèches de cheveux tressées.

Avec beaucoup de mal, Elise retint le sourire qui voulait s'épanouir sur son visage. Elle n'appréciait pas les préjugés, étant elle-même souvent stigmatisée, mais Tim était le copier-coller du stéréotype extrême de l'homme gay et elle ne l'en appréciait que plus.

Alors qu'Adrien se tortillait de manière inconfortable pour éviter les avances peu discrètes de son voisin, Elise devrait se sentir mal pour lui. Elle n'avait jamais eu affaire à des avances non-désirées, malgré avoir énoncé son refus, sur un lieu de travail et elle avait conscience que certains modèles n'avaient pas toujours pu travailler dans des situations où elles s'étaient senties confortables.

Dans ce milieu, le harcèlement n'était pas tellement commun qu'il en devenait ordinaire, mais pas assez inhabituel pour être classifié de rare. Personne ne devrait avoir à supporter ce genre de comportement.

Cependant, Elise ne pouvait que sourire.

S'il ne s'agissait que du souhait de Timo, il serrait perché sur les genoux d'Adrien à roucouler. Il était dans son propre monde. À tel point qu'il ne réalisait pas que la patience de ses collègues s'amaigrissait. Son métier demandait de lui qu'il prenne des notes, des mesures, qu'il gesticule et grimace. Ce qu'il ne faisait pas.

Non, il n'en avait rien à faire et Adrien était tout ce dont il se préoccupait pour le moment.

Elise aurait pu jurer qu'elle entendait des Darling par-ci par-là chaque fois qu'elle quittait le vestiaire.

Bien que Timo ne parlait pas anglais, il lui avait confié à leur rencontre qu'insérer des mots anglais à tout va le rendait érudit, attirant et irrésistible. Il n'avait pas conscience qu'il prononçait ces mots avec un tel accent français que l'effet en était plutôt comique que séduisant. Cela aurait peut-être fonctionné avec un homologue anglophone, puisqu'ils semblaient apprécier l'accent french, mais pour une personne de langue maternelle française ? Pas vraiment. En tout cas, pas d'après elle. Mais Elise était convaincue qu'un jour il comblerait quelqu'un de bonheur.

Seulement, aujourd'hui n'était pas ce jour.

Adrien parut avoir le feu aux fesses lorsqu'il fut question de quitter le bâtiment. Malheureusement, il ne put s'évader aussi vite qu'il aurait désiré.

Elise, en bonne élève respectueuse, salua tout le monde et Timo prit soin de l'accompagner à la porte où il lui colla deux bises sonores pour en faire de même à son agent. De manière plus appuyée.

D'une marche rapide qui s'approchait dangereusement du pas de course, les mains dans son manteau, Adrien les amena à sa voiture. Malgré son air pincé, il n'oublia pas de lui ouvrir la portière.

- Je ne reviendrai plus.

Elise s'y attendait et le visage renfrogné qu'il affichait lui donnait, pour la première fois, l'air d'un enfant boudeur. Cela lui donna envie de sourire. Elle s'en empêcha.

- Tu aurais pu lui dire que tu n'étais pas intéressé.

- Qu'est-ce qui te dit que je ne l'ai pas fait ?

- Timo serait venu vers moi, mortifié à en mourir, pour me dire que j'aurais dû le prévenir, suivi d'un long discours sur tout ce que tu loupes. Après, il serait parti tirer la tronche dans son coin.

- Aussi simple que ça ?

- Oui.

D'une voix plus hésitante, il lui fit part de ce qui l'avait réellement tracassé.

- J'avais peur de le froisser. Et de passer pour un homophobe.

- Tu n'es pas sexiste parce que tu ne retournes pas les sentiments d'une femme.

- Je sais ! Mais je n'ai pas l'habitude de côtoyer des gens homosexuels. Je ne savais pas comment réagir. J'étais pris de court et je ne voulais pas manquer de tact.

- Timo était peut-être un peu trop. Il fait toujours tout à 100% et c'est bien ce qui rend son travail si excellent. La prochaine fois mentionne que tu es hétéro. Ça suffira.

Les épaules du jeune homme se relâchèrent et son buste se décontracta légèrement vers l'arrière.

- Je ferai ça. Mais je ne reviendrai quand même pas.

Dommage pour elle. Elise avait passé une des matinées les plus amusantes.

- Ton book a été retenu pour une publicité de mode pour le printemps.

Ses oreilles se dressèrent au maximum.

- Oh super.

- Oui et la rémunération est bonne. Je t'enverrai le tout d'ici demain.

Décidément, aujourd'hui était une belle journée.

Elise ferma les yeux pendant qu'Adrien alluma la radio et, quand la musique favorite de sa mère vint caresser ses oreilles quelques minutes plus tard, elle chantonna doucement la mélodie d'une voix presque inaudible.



Pas assezOù les histoires vivent. Découvrez maintenant