Chapitre 26
Toutes les vitres du premier étage avaient leurs volets fermés, comme les paupières recouvrant l'œil de l'homme qui dort. Au rez-de-chaussée, une lumière, celle du salon, était allumée malgré l'heure tardive. En dépit de ce qui s'était passé, Elise avait espéré pouvoir se rendre dans sa chambre sans problème.
Elise resta un instant sur place, dos à la voiture qui l'avait ramenée jusqu'ici. Puis, après un soupir, s'avança. Elle avait déjà dit au revoir à Adrien, bien qu'il patientait encore dans sa voiture, sûrement pour s'assurer qu'elle atteigne son porche. À ce moment et pas une seconde plus tôt, le vrombissement d'un moteur la laissa savoir qu'il repartait.
Elle farfouilla dans son sac à la recherche de ses clés et, bien qu'elle savait la démarche inutile, elle fit le moins de bruit possible en ouvrant la porte. Quelques pas et sa route s'interrompit au salon, où une femme était assise sur l'une des chaises entourant la table à manger surdimensionnée qui n'avait été utilisée que rarement depuis son arrivée.
Emma se leva en la voyant et, d'un regard suppliant, lui désigna une autre chaise. Elise s'y rendit et, les épaules raides, s'y installa avec précaution.
Elle n'était pas fière des mots qu'elle lui avait lancés à la figure. Parce qu'elle avait les plus grandes peines du monde à accepter la situation et Emma, qui pourtant avait été des plus bienveillantes, ne lui octroyait pas le droit de l'insulter ainsi. Et elle le savait.
À sa plus grande surprise, ce fut Emma qui s'excusa la première.
- Je suis désolée pour le comportement de Noémie. Elle n'aurait pas dû t'attaquer comme ça.
Elise ne répondit pas. Ce n'était pas à Emma de s'excuser pour cette action. Noémie ne voyait probablement même pas en quoi elle avait tort.
Avec ses dents, Emma se torturait la lèvre inférieure et, après avoir regardé plusieurs fois les escaliers qui menaient à l'étage, reprit.
- Tu dois comprendre, Noémie a eu des périodes difficiles. Elle n'est sûrement pas d'accord que je te le dise, mais je crois qu'il faut que tu le saches. Elle a été victime de harcèlement dans son ancienne école, avant qu'on déménage. Ici, elle s'est faite des amies, mais elle a peur de les perdre. Elle est très possessive.
Elise serra ses poings sous la table. Ce n'était pas ce dont elle voulait parler, ni ce qu'elle voulait entendre. Emma ne perçut pas sa gêne et prit son silence pour un encouragement.
- Pour George, votre père, c'est pareil. J'ai perdu mon mari juste après la naissance de Frank et Noémie a perdu un père. C'était difficile et-
- George est-il le père de Noémie ?
La question était sortie sans son consentement mais à présent qu'elle pesait entre elles, Elise n'allait pas la retirer. Cette possibilité avait pris racine il y avait longtemps et c'était faite plus pressante depuis son arrivée ici, dans cette maison.
Emma en resta abasourdie. La bouche ouverte et les sourcils levés comme si elle ne comprenait plus la langue française.
- Quoi ?
- Est-ce que George est le père biologique de Noémie ?
- Non ! Bien sûr que non. Elle a 17 ans, comme toi. C'est la fille de mon mari décédé. J'étais mariée.
- Je sais. L'un n'empêche pas l'autre.
Emma la regarda horrifiée, avant que son visage ne prenne une expression emplie de pitié -ou peut-être était-ce de la peine, croyant enfin comprendre ce qui se tramait dans la tête de la jeune fille.
- Savais-tu qu'il avait déjà une famille ?
- On a commencé à sortir ensemble et oui il m'a dit qu'il avait une fille.
Elise ne s'attendait pas à cette réponse.
- Qu'est-ce qu'il a dit, exactement ?
- Et ben, qu'il avait été longtemps dans une relation et que c'était terminé.
- Qu'est-ce qui était terminé ? Sa relation avec sa femme et moi ? Et tu t'es pas dit que c'était bizarre qu'il ne voulait plus de sa fille ? Que c'était «terminé» ?
La colère montait dans son estomac et ses mains agrippèrent le bord de la table.
- Il n'a pas dit que sa relation avec toi était terminée mais le couple qu'il formait avec ta mère.
- Mais tu ne t'es pas étonnée qu'il n'avait aucun contact avec sa fille ? Son seul enfant et il en a rien à battre. Ça ne t'a pas inquiétée ?
- De quoi parles-tu ? Il m'a montré les dessins et les cartes postales que tu envoyais. Je les ai vus.
- C'était il y a dix ans. Il m'a répondu les premières années, puis plus rien. Silence radio. Qu'est-ce que tu fais des cinq ou sept dernières années ?
Jamais elle ne l'avouerait, mais Elise savait exactement combien d'années et même de mois s'étaient écoulés sans recevoir de ses nouvelles.
- Je... enfin...
Emma clignait des yeux à vive allure et fut incapable d'aligner les bons mots. Pas qu'Elise lui en laissa le temps.
- Tu n'as rien vu. Tu avais tes enfants. Vous étiez confortables, aimés et tu as oublié le regret de ton nouveau mari. Tu as oublié. Et lui en avait plus rien à faire. Jusqu'à ce que Maman meurt et, soudainement, on s'rappelle de la mioche laissée derrière.
Sa rancune était dirigée contre la mauvaise personne et Elise en avait conscience. Elle inspira un bon coup et reprit la parole avant qu'Emma ne la devance. Heureusement, celle-ci avait de la peine à trouver ses mots et secouait la tête de gauche à droite.
- Écoute, ce n'est pas ce que je voulais te dire. Je voulais m'excuser pour ce que j'ai dit tout à l'heure. Je n'aurais pas dû te parler de cette manière. Pour Noémie, je ne sais pas quoi te dire. C'est à elle s'excuser, pas à toi. J'ai perdu mon père à 7 ans et ma mère il y a maintenant une année. Est-ce que j'agis comme elle ? Non.
La conversation avait repris une direction dont Emma connaissait la route et, sans réfléchir, elle s'y agrippa, son expression laissant place au soulagement.
- Tu as raison. Mais depuis que tu es là, je dois avouer que tu fais preuve d'une grande maturité, bien plus que Noémie. Et j'ai pensé que, peut-être, tu pourrais faire le premier pas.
Elise soupira. Pourquoi était-ce toujours elle qui devait s'adapter ? Sa réponse fut un haussement d'épaule. C'était ni oui, ni non.
À partir de maintenant, elle allait exprimer clairement ce qu'elle pensait et faire ce qu'elle voulait sans se laisser manipuler pas sa mauvaise conscience et le désir démesuré de plaire. Si elle voulait faire un effort avec Noémie elle le fera. Dans le cas contraire, tant pis.
Elise se leva, souhaita une bonne nuit à Emma et quitta la pièce pour se rendre dans sa chambre.
Couchée dans son lit, le regard au plafond, Elise ne pouvait que réaliser la chance qu'elle eut en le rencontrant.
Adrien était une bénédiction et discuter avec lui avait remis ses pensées en ordre. Fini de jouer l'autruche. Fini d'éviter les conflits. Elle allait confronter ce qui devait l'être.
Oui, il lui fallait parler avec son père. Elle se devait aussi d'éclaircir ce qui se passait entre elle et Adrien sans prendre ses jambes à son cou.
Mais en premier, elle allait se rendre à l'agence et avoir une conversation avec Caro qui n'allait pas être à sens unique.
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Pas assez
Teen FictionÀ la mort de sa mère, Elise se trouve dans l'obligation d'aller vivre chez un père absent de son enfance. Un père qui vient avec une famille dont certains membres sont réticents à la voir débarquer. En cherchant l'indépendance, Elise s'embarque...