Chapitre 34.

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Je refais surface du lit le lundi matin, sans plus aucune larme à verser après plus de deux jours d'hibernation. J'ai été forcée une fois de plus de constater que le monde ne s'était pas arrêté de tourner parce que j'avais perdu quelqu'un.

J'engloutis une tasse de café brûlant dans le brouhaha incessant du réfectoire, et j'ai envie de leur hurler de se taire... Mais la vie continue. Les enfants jouent sous les longues tables, d'autres s'embrouillent. Comme avant, comme toujours. Mon état était si pitoyable que Jay est passé samedi pour me convaincre d'aller à l'infirmerie. Pour quoi faire ? On ne soigne pas un deuil à coup de doliprane.

_ Tu es prête ?

Je hoche doucement la tête et repousse mon plateau, que je n'ai presque pas touché, et saisis mon fusil qui était calé contre ma jambe. Je suis en service de nuit cette semaine, mais Jai a tenu à ce qu'on reprenne nos recherches, armés, pour éviter de se faire surprendre. De toute façon, on enterre Luna cet après-midi, et je dois me résoudre à y aller.

Ne serait-ce que pour elle, pour lui dire au revoir, mais aussi pour ses parents, que je considère comme les miens. Les enterrements sont faits pour ceux qui restent. J'ai essayé de me dérober, mais Jai n'a pas plié. Je me dis que la voir dans une boite en bois rendra la chose plus réelle. Définitive. J'ai passé de longues heures à me lamenter et pleurer sur quelque chose qui, bizarrement, ne me paraissait pas vrai.

C'est assez déstabilisant.

Et cette douleur me ronge, encore et encore, et je ne peux pas répondre aux gens qui me demandent si ça va. J'ai l'impression que je vais craquer. J'ai perdu mes deux meilleurs amis en moins de deux mois. Je refuse de penser que je vais devoir vivre sans eux. En moi, j'ai toujours le sentiment que Liam va débouler dans l'ascenseur ou dans la Fosse avec une bouteille d'alcool et ses propositions concupiscentes. Je me dis toujours que Luna va me sauter dessus ou me faire une vieille blague nulle en me rappelant un souvenir bizarre qui nous fera rire aux larmes.

Je ne reverrai jamais l'éclat de vie dans leurs yeux.

_ On a visité lesquels, déjà ? Demande Jai en s'essuyant le front.

_ Il ne reste que ceux des Érudits.

Je soupire. Il est bientôt midi, et il fait déjà très chaud. J'aimerais tellement changer d'air, d'horizon. Ne serait-ce que pour un jour.

Il y a deux hôpitaux dans le secteur Érudit. Celui où était Luna, et un autre. Aucun des autres ne correspondaient à mes souvenirs. J'ai d'abord douté de ma mémoire, mais je me suis promené plusieurs fois dans le petit parc derrière le bâtiment, et je me rappelle de sa façade. Nous reprenons notre route en silence au milieu des gens. Mon arme bat mollement contre ma cuisse à chacun de mes pas. Je suis mitigée par rapport au fait d'en avoir une. D'un côté, je me sens rassurée, et de l'autre... Je suis complètement terrifiée.

Je peux ôter la vie de quelqu'un avec ça. Je l'ai déjà fait, et je sais qu'il faudra le refaire un jour.

Nous mangeons rapidement puis nous repartons. J'ai les jambes en compote mais marcher me donne un échappatoire. Je ne sais pas comment les gens peuvent vivre en perdant leur famille - on ne s'habitue jamais vraiment à la douleur, elle s'atténue un peu avec les années, mais elle ne disparaît jamais. Elle guette la moindre de nos faiblesse pour s'y accrocher.

_ Nan, pas celui-là, dis-je après avoir fait le tour du premier.

Il hoche la tête et reprend déjà la route, sa veste négligemment jetée sur son épaule. Il nous en reste qu'un seul. Dans quelques minutes, je saurai la vérité. Je suis à présent sûre que les médecins qui s'occupaient de moi avant mon réveil avaient mon dossier, je les aient entendu parler et ce n'est plus juste un souvenir flou. Nous n'avons pas vraiment le temps de marcher lentement, puisqu'il nous reste moins de deux heures avant l'enterrement. J'essaie de ne pas y penser mais mon estomac est rongé par la peur et mes jambes semblent se liquéfier à chacun de mes pas.

Déficients [TOME 1 & 2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant