Chapitre 10.

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Le cadre métallique de mon lit émet un grincement plaintif quand une haute silhouette se hisse dessus. Lenny apparait, et ses yeux gris me lancent des reproches silencieux.

_ T'es en retard, bouge !

Oups. J'avais complètement oublié notre rendez-vous en regardant le groupe se foutre à poil devant tout le monde sans gêne. Je saute à bas de mon lit, chausse mes bottes et enfile rapidement ma veste, et nous voilà à courir comme des dingues sur les étroits chemins, jusqu'à une porte de secours entrouverte. Lenny la bloque avec un caillou après notre passage et nous redoublons d'efforts pour rattraper le tram qui s'en va doucement de l'arrêt.

Quand je vois mon camarade s'agripper à la barre et ouvrir la porte du plat de la main, mon sang se glace, mais l'adrénaline se met à pulser de plus en plus fort dans mes veines. Je peux le faire. Je suis une Audacieuse. Tout mon corps proteste contre ce soudain exercice, mais je saisis la main qu'il me tend.

Il me hisse sans difficulté dans le wagon, sous le regard médusé et choqué des gens.

_ Bon, maintenant tu peux me le dire ! On va où ?

J'ai les mains sur les genoux pour tenter de reprendre mon souffle.

_ Faire une tyrolienne, dit-il avec une excitation évidente.

_ Nan, tu déconnes ?

Il hausse ses sourcils à plusieurs reprises, et je sens l'excitation redoubler. Un jour, ma hardiesse me perdra, mais pas ce soir. Je veux faire cette tyrolienne. J'ai toujours été dingue des trucs dangereux et complètement loufoques.

Le trajet est le même, et en arrivant sur le toit où le vent souffle par bourrasques violentes, je constate qu'ils ont installé un épais câble métallique sur une poutre de fonte. La nuit masque sa direction.

_ C'est solide, au moins ?

_ Bien sûr, ouais, on a testé !

Je secoue la tête devant la joie enfantine d'Adrian, qui a l'air ravi de me voir ici. S'il pensait pouvoir me traiter de poule mouillée, il peut se mettre un doigt dans l'œil.

_ J'espère que t'as pas peur, Tris. On va faire huit kilomètres à toute vitesse.

_ J'ai sûrement plus de couilles que toi, mon pote !

Le brun se fait huer par ses amis, et j'apprends qu'il s'appelle Tanner. Il rougit et installe un harnais sur le câble. Je ne peux pas m'empêcher de ressentir de l'appréhension. Est-ce que ça tiendra ? Est-ce que ça va lâcher quand ça sera mon tour ?

Le petit groupe piaffe d'impatience et Tanner s'occupe de lancer les personnes. Je me demande pourquoi nous avons presque tous choisi des prénoms étrangers. Je regarde deux filles filer à toute vitesse dans l'obscurité en hurlant.

Puis c'est mon tour, et je me retrouve au bord du toit, comme mon premier jour, où on a dû sauter du toit. Je me glisse à plat ventre dans le harnais, et je remarque que je tremble. Froid ? Peur ? Excitation ? Ce mélange est terriblement enivrant. On m'attache à plusieurs points, je m'agrippe à une sorte de corde sur le harnais et donne mon feu vert.

Et plus rien n'existe autour de moi.

Mon corps vole tel une balle dans le ciel, le vent me tire des larmes et, en passant devant un immeuble, j'écarte les bras en croix. Je peine à respirer et le vent siffle dans mes oreilles, un cri de joie reste coincé dans ma gorge. La ville défile à toute allure tandis que je plane, basculant dangereusement de droite à gauche alors que je me saoule de cette sensation.

Mon coeur bat à tout rompre. L'altitude a baissée, et je passe devant de hauts immeubles aux fenêtres éclairées, j'effleure les lampadaires et survole une grande avenue. Le sol se rapproche et des larmes roulent sur mes joues avant d'être balayées par le vent encore fort. Je me sens libre, totalement en phase avec moi-même.

Déficients [TOME 1 & 2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant