Chapitre 1.

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Le soleil entre à flots dans la chambre, et un tas de boucan m'entoure. La lumière, le bruit, la douleur ; tout est TROP pour moi. Le temps que ma vision s'ajuste, je peux voir que le ciel est gris, et que le soleil perce à travers, me laissant voir un éclat de ciel bleu devant ma fenêtre.

_ Bonjour madame, bienvenue parmi nous. Je viens vous retirer l'intubation et vous examiner, n'essayez pas de parler pour le moment.

Mon coeur s'affole et je tente de me relever en prenant appui sur mes coudes, mais mon corps ne me répond que très peu ; j'ai vraiment mal partout en fait. On me dit d'expirer très fort et le tube sort de ma gorge, manquant de me faire vomir, puis je subis l'habituel examen de réveil. On me fait manger un peu de glace pilée après m'avoir donné de la lidocaïne et les résultats sont notés dans un dossier attaché au pied de mon lit.

Une fenêtre aussi large que ma chambre donne sur le couloir, où des gens passent à allure régulière, la mine grave et soucieuse.

_ Tris !

Je tourne la tête brusquement, ce qui m'arrache une grimace, et la pastille mentholée que je suçais glisse dans ma gorge tandis que Jai apparait dans l'encadrement de la porte. Grand, beau, fatigué, pas rasé depuis trop longtemps. Je me redresse sur mon oreiller et tends les bras comme une enfant, sans prêter attention à l'énorme cathéter qui entre dans mon poignet.

J'ai du mal à me souvenir dans mon esprit cotonneux, je ne sais pas si ce que j'ai dans la tête sont des souvenirs ou du vécu, et réfléchir me fatigue. J'ai dormi deux semaines et je suis encore fatigué.

_ Bordel de merde Tris, j'ai cru qu'ils m'appelaient pour dire que tu y étais passé !

_ On ne se débarrasse pas de moi comme ça, ricané-je.

Il rit un peu puis, contre toute attente, fond en larmes. Je le serre plus fort contre moi, jusqu'à ce qu'il trébuche et atterrisse sur le lit. Mon coeur se serre. J'aurais dû être morte, à l'heure qu'il est. Combien de Déficients n'ont pas pu être sauvés ? Combien de mes amis y sont passé ? Je me souviens des jours de torture, dans des salles sans fenêtre, au néon blanc aveuglant, et cette échappée de GD sous ma tutelle. Que sont-ils devenus, eux ?

_ Jai.

Son prénom sort de ma bouche dans un souffle avant que mes larmes ne se mettent à couler. J'ai cru ne jamais le revoir. Je passe une main trop pâle sur ses joues rugueuses pour sécher ses larmes avant de sécher les miennes. Il renifle puis s'assied sur le lit, laissant pendre ses jambes en dehors et tenant ma main très fort, comme si je risquais de me faire emporter par une rafale de vent.

_ Raconte-moi ce qu'il s'est passé.

Il semble hésiter, serre et desserre ses poings longuement, mais j'ai besoin de savoir, peu importe si ça fait mal. J'ai besoin de savoir ce qu'il s'est passé pour lui, et pendant que je dormais, parce que le médecin n'a rien voulu me dire. Il me croit stupide. Peut-être qu'il me prend pour une soldate sans coeur ni foi, ou que les gens du Labo m'ont enlevé un bout de cerveau.

Allez savoir.

_ Quand tu as disparu, j'ai alerté les autres, commence-t-il doucement. Louis a pris les commandes. Avec le Conseil, il a fait tracer vos puces via un algorithme complexe et les satellites, tu sais, celle qu'ils nous ont mis pour la Cérémonie du Choix.

_ Un algorithme ?! Mais qui a fait ça ?

_ Des ingénieurs... il y avait aussi des gens du centre spatial européen ! Bon, ils sont chez les Érudits pour la plupart, mais tu aurais dû voir ça, c'était impressionnant !

Je hoche la tête, admirative du travail fourni en si peu de temps, grâce auquel nous avons pu être sauvé.

_ Enfin bref, ça a été long, mais on vous a trouvé, toi et d'autres GD, dans un Labo... dans un coin paumé. Ils ont fait sauter la moitié du bâtiment peu après que les soldats soient entrés... dans la salle où tu étais... où le médecin était avec toi... tu venais de mourir et...

Il inspire profondément en se balançant d'avant en arrière.

_ Je ne peux pas, désolé...

_ Bon, je sors quand ? Demandé-je pour changer de sujet.

_ Pas maintenant, à mon avis. Tu viens de te réveiller, ne crois pas qu'ils vont te lâcher comme ça !

J'émets un son entre le ricanement et le reniflement.

_ Je ne leur demande pas leur avis. Ramène-moi des vêtements pour demain matin.

Il hoche la tête en riant et me parle de choses et d'autres. Dans son regard hanté, je sais qu'il me cache des choses, comme tout le monde, à priori. Comme quand je me suis réveillé de mon tube, je sais que quelque chose d'important a eu lieu.

On m'apporte mon premier repas, composé d'un bouillon et d'une compote, qui me met de mauvaise humeur, parce que ça fait bien trois semaines que je n'ai rien avalé de solide... mais j'ai beaucoup de peine à finir ce maigre repas.

Jai reste jusqu'au soir, à me laisser blottie contre lui, abrutie par les surdoses de cachets qu'ils m'ont inoculé pendant mon sommeil.

_ N'oublie pas mes vêtements, marmonné-je. Je t'aime.

_ Je n'oublie pas, ne t'en fais pas. Repose-toi, je t'aime aussi, Tris.

Déficients [TOME 1 & 2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant