Chapitre 33 [Jai].

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A mon réveil, l'autre côté du lit est froid. La douleur est tenue à l'écart grâce aux anti douleurs, mais ça ne m'empêche pas de me tenir courbé pour avancer, la main sur le pansement couvrant une partie de mon flanc. Je trouve Tris dans le salon, assise à même le sol, concentrée sur son activité, une main dans les cheveux et l'autre tenant une pièce en carton.

Elle ne m'entend même pas lorsque je m'approche, la plante de mes pieds adhérant au parquet. Elle se mord la lèvre, emboite la petite pièce et en prend deux autres pour les comparer. Seulement vêtue de mon t-shirt, elle parait frêle. Le t-shirt kaki est trop grand pour elle, et l'échancrure du col glisse sur son épaule, dévoilant la courbe de sa nuque. Je vois même la cicatrice ronde qu'a fait la balle. Je m'accoude sur le dossier du canapé et la regarde un moment, prenant un instant pour réfléchir.

Elle porte le t-shirt que j'avais au moment de ma Cérémonie du Choix. Tant de temps a passé depuis ce moment où j'ai hésité entre les Fraternels et les Audacieux. Deux ans.

Tris est sans doute la fille la plus difficile à approcher, et la plus complexe. Elle est méfiante et renfermée, mais tu peux facilement rire avec elle, elle est drôle, attentionnée à sa manière, elle est bonne conseillère et sait écouter, elle est forte, solitaire, sombre... C'est un paradoxe ambulant : elle est timide mais paraît sûre d'elle, exubérante pour cacher ses pensées noires, sombre sans jamais quitter totalement la lumière.

Derrière ses silences butés se cachent des fissures et derrière ses sourires se cachent des larmes.

Elle n'est ni la plus jolie, ni la plus charismatique, ni la plus gentille, et sûrement que je ne l'aurais jamais regardé si on s'était juste croisé dans la rue, dans le monde d'Avant. Mais c'est comme ça, on ne choisit pas toujours qui on aime, et ça m'est tombé sur la tronche sans que je ne m'en aperçoive. Je sais qu'elle aussi ne s'attendait pas à ce genre de truc.

_ On s'annonce quand on ne veut pas paraître pour un voyeur, dit-elle.

Je ris doucement.

Elle se lève et me regarde avec un sourire gêné. J'aime bien quand les femmes n'ont pas honte de leur corps, c'est sûrement une leçon de plus que Tris n'apprendra jamais. Sous le tissu kaki pousse son ventre devenu rond, et je souris. Elle porte mon enfant, ma fille. J'aurais aimé que ma mère soit là pour voir ça - on a eu si peu de temps pour qu'elles fassent connaissance, j'aurais aimé qu'elle nous conseille et nous sourit, j'aurais aimé qu'elle me dise encore à quel point elle est fière de moi, mais elle était à Detroit.

Et Detroit a été rayé de la carte, et je ne peux pas sans cesse occulter de mon esprit ce que j'ai perdu là-bas.

_ Allons déjeuner, dis-je en passant mon index sur la fine chaine en or qui pend à son cou.

Je le lui ai offerte le mois dernier, pour son anniversaire. Un cadeau tout simple qu'elle ne quitte plus. La chaine est si fine qu'on dirait un fil d'or sur sa peau douce, et deux petites perles y pendent : une jaune et une grise. Nos couleurs préférées. Nous. Un symbole.

_ J'ai pleuré, tu sais ?

Je ne sais pas si j'avais l'intention de dire ça, exprimant ce que j'avais sur le coeur depuis des mois. Tris relève la tête, la mine interrogatrice, les sourcils froncés. Elle laisse tomber le reste de sa tartine et s'approche de moi, soucieuse. Elle me prend dans ses bras en faisant attention à ma blessure.

_ Pourquoi ? Chuchote-t-elle. Quand ?

_ Quand ils sont venus avec les lance-flammes et quand Jay m'a dit que tu faisais partie des GD introuvables... Et quand on m'a conduit devant toi, après le...

Je m'étrangle et enfouis mon visage dans son cou. Ne pas pleurer. Pas devant elle, je n'aime pas la voir pleurer, et Dieu sait qu'elle est émotive ces derniers temps !

Déficients [TOME 1 & 2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant