Chapitre 11.

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_ Joyeux anniversaire, Tris Deux, dis-je en posant le gâteau devant elle.

Les bougies que j'ai trouvé dans un des tiroirs crépitent et illuminent ses yeux d'étincelles. Elle a l'air toute surprise. S'il y a bien une leçon que j'ai retenu, c'est celle-là : ne pas se laisser démonter par la pourriture du monde, et être heureux avec ceux qu'on aime.

Comme ils l'ont fait pour moi, quelques mois auparavant, les autres se mettent à chanter joyeux anniversaire en riant très fort, puis Théodore déniche une bouteille d'alcool qu'il sert dans des tasses à café prises dans un autre placard. L'alcool me réchauffe le ventre et le gâteau au chocolat me rend nostalgique de l'époque où tout allait presque bien. C'était le gâteau que je réclamais à chacun de mes anniversaires. Je me demande ce qu'il risque d'arriver à ma famille si je suis poursuivie. Je sais bien que j'ai changé d'identité et que le mantra la faction avant les liens du sang s'applique, mais on ne sait jamais où ils sont capables d'aller dans leurs recherches.

Comme on ne sait pas jusqu'où vont les dégâts dans notre pays, rien ne nous dit qu'ils ne pourront jamais accéder à nos dossiers médicaux ou je ne sais quoi... Le seul dossier que j'ai pris avec moi, c'est celui du Labo. Je ne sais pas pourquoi, mais peut-être qu'un jour je pourrai enfin avoir la vérité sur ce complot.

_ Je suis sûr que personne ne viendra, on ferait mieux d'aller se coucher, proteste Jai.

_ Et moi, je préfère qu'on ne prenne aucun risque. Si quelqu'un vole le minibus, on est bons pour mourir. Il est tout ce qu'il nous reste. Ça va, va te coucher, je te rejoins dans trois heures.

Mais il reste, et tandis que les autres montent à l'étage pour retrouver leur lit, nous restons sur le canapé, tourné face à la porte d'entrée et celle du garage. Je contemple le mur d'en face en passant un doigt distrait sur le canon du fusil, chargé. Nous avons laissé une lampe de chevet allumée par terre, pour économiser les piles de nos lampes torches.

_ On n'a pas beaucoup eu de temps pour nous depuis qu'on est partis, chuchote-t-il en m'attirant contre lui. Tu t'es réveillée, et le lendemain on devait déjà prendre l'avion.

_ Et quelque chose me dit qu'on n'aura pas beaucoup de temps non plus dans les jours à venir.

Il fait glisser ses lèvres de mon oreille jusqu'à ma bouche, et son souffle chaud se répercute sur ma peau. Je le tiens plus fort contre moi, pour sentir la fermeté de son corps. Avant, je n'appartenais à personne ; j'étais trop libre, trop détruite, trop instable, pour m'accrocher. Maintenant, je sais qu'il est à moi, et que je suis à lui. J'ai grandi, pris en maturité, même si je suis toujours détruite - on doit faire avec.

A califourchon sur lui, je l'embrasse comme si je risquais de ne plus pouvoir le faire, comme si la toute fin était pour demain.

_ Pas ici, Jai, chuchoté-je pourtant en pensant aux autres.

_ Qu'est-ce que tu ferais si tu vivais tes dernières heures ? Murmure-t-il contre mon cou.

_ J'en sais rien, et toi ?

C'est vrai, je ne sais même pas comment j'occuperais mes dernières heures. J'y ai déjà réfléchi, avant ma mise à mort, et aussi avant le début de l'expérience, mais je suis resté prostrée les deux fois, à regretter tout ce que j'avais vécu et tout ce que je ne pourrais jamais vivre. Mais j'étais enfermée les deux fois...

_ Je passerais chaque minute avec toi.

Une vague de caramel épais et brûlant semble avoir remplacé mon sang. Ses yeux bleus brillent, étrangement sombres, et il a son fameux sourire en coin. Je reprends possession de ses lèvres, touche son corps brûlant, respire son odeur de savon qui n'est pas son odeur habituelle. Il est à moi. Je suis à lui. Entre ses mains, je ne suis plus la fille couturée de cicatrices et génétiquement déficiente, je suis une créature sublime et puissante, et je crois que c'est ce qu'arrive à faire le vrai amour.

Déficients [TOME 1 & 2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant