Chapitre 12.

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On ouvre les portières en empoignant fusils et sacs à dos, et Jay nous indique le bâtiment à quelques mètres. Je ferme le minibus et cours à sa suite, en me protégeant les oreilles des déflagrations successives, les jambes flageolantes sur un sol qui semble vouloir se dérober sous nos pas. Ils ne bombardent pas la ville en elle-même...

Je revois le flic partir à la suite de la file des voitures.

_ Ils bombardent les civils, crié-je. Cachez-vous loin des fenêtres !

L'épicerie dans laquelle nous nous réfugions tremble sur ses fondations tandis que nous nous accroupissons entre deux étals près de l'entrée, au cas où si le bâtiment en venait à s'effondrer. Théodore s'empare d'une pomme et croque dedans, les yeux fermés. Je serre les doigts sur la crosse de mon arme, le souffle court, les paupières si serrées que je vois des lumières danser devant mes yeux. Des bras m'entourent et une tête se pose sur mon épaule. Jai.

Quelques détonations et grondements retentissent encore, mais ce ne sont pas des bombes, ce sont les véhicules qui explosent et les bâtiments qui s'effondrent. Je tremble de tout mon corps, impossible de me calmer. Nous avons croisé ces gens peu avant. Et ce flic qui nous a conseillé de fuir était avec eux, là-bas. Ils les ont bombardés alors qu'ils essayaient de fuir.

Mais dans une guerre des gens meurent, qu'ils soient bons ou mauvais.

_ Prenez de l'eau et tout ce que vous pourrez trouver, dit Théodore d'une voix froide. On se casse de ce trou maudit !

A cet instant, je ne reconnais plus mon ami. Ses yeux bleus chaleureux ont virés au froid, et ses mâchoires sont crispées tandis qu'il fouille méthodiquement la petite épicerie. Nous prenons ce qu'il faut et rejoignons le minibus, miraculeusement épargné. Il est notre seul abri. Je prends le volant, guidée par Theo et Tris Deux, qui retient ses larmes. Je ne sens rien d'autre que de la rage, je suis si furieuse contre ces connards qui lâchent des bombes sur des innocents que je pourrais tous les fusiller sur le champ.

Ce n'est pas le monstre qui parle, c'est moi. Ils sont responsables de la mort de centaines de personnes, et ils savent comment on punit ça.

Je n'ai tellement pas envie d'être débordée par mes pensées que je conduis pendant des heures, plissant les yeux pour voir la route dans la nuit. Nous roulons feux éteints, et Jay braque juste une lampe torche contre le pare-brise avec ses pieds, pour qu'on reste sur la route. Il y a des risques à rouler comme ça, mais je vais doucement, sans prendre de risques, sans caler.

_ Tris Isaacs, permis mention super, ricané-je pour moi-même.

Quand nous arrivons à Casper, nous constatons avec effroi que la ville a subie le même sort que la précédente, et les ruines fument encore.

_ Continue, on ne peut pas rester là.

Au début, je ne comprends pas pourquoi et je m'apprête même à dire que nous courons moins de risques à se planquer dans une ville déjà bombardée quand Théodore tapote l'émetteur, qui produit une sorte de faible grésillement tandis que ses deux diodes vertes se sont allumées. Il y a huit diodes dessus : deux vertes, deux jaunes, deux oranges, deux rouges.

_ Ça veut dire qu'il y a des radiations ? Demandé-je, paniquée.

_ Pas ici, dit Lincoln, réveillé. Ça doit venir de l'autre côté des Rocheuses, il y a du vent et ça se répand vite. On est vraiment près, ici, mais je pense que ça ira mieux vers Cheyenne et Denver.

Je lui laisse finalement le volant, épuisée, et me glisse entre Tris Deux et Jai, qui dorment depuis des heures. Le poignet de Jai suintait quand il a commencé à se plaindre de douleurs. Le mien guérit vite, comme toutes mes autres plaies, d'ailleurs. Nous sommes partis depuis cinq ou six jours, j'ai déjà oublié, et je n'en peux déjà plus. Je ne sais même pas où aller, ni quoi faire. J'ai même envie de retourner à Indianapolis, au Complexe, pour avoir la sensation de sécurité qu'il me manque.

Déficients [TOME 1 & 2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant