Chapitre 25.

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_ ON Y VA ! ALLEZ, ON SE BOUGE !

Le cri de Louis retentit par haut-parleur dans toute la forteresse, et le mouvement est instantané. J'enfile ma veste et prends mon fusil, le souffle court. Cela faisait des heures qu'on attendait le signal. Une nouvelle vague d'insurgés vient d'arriver en ville et, jusqu'à présent, ils étaient dans un bâtiment, maintenant ils se déplacent en direction des Labos.

Nous nous entassons dans le tram et je regarde la ville masquée par un épais brouillard. Le taux de pollution du pays a baissé de 45% depuis l'installation des factions. Nous n'utilisons plus que les transports en communs, seuls les avions déchirent encore notre bulle d'air presque sain - ce brouillard est donc une simple réaction météorologique.

A côté de moi, Lincoln reste concentré sur son arme. Derrière moi, je sais qu'il y a Marlon. Je repère le tribal étrange sur la nuque d'Alan, à trois mètres devant moi. Pendant le trajet, je repense aux funérailles expresses de Liam. Nous étions une poignée d'Audacieux au milieu de Sincères et Fraternels. Sa mère a pleuré sur mon épaule en me tendant son Rubik's Cube et m'a demandé s'il avait dit quelque chose avant de partir... J'ai secoué la tête, les yeux remplis de larmes - comme s'il avait eu le temps ou la force de parler avec un trou béant dans la cage thoracique. La dernière chose qu'il ait vraiment dite est que ça allait aller.

Et ça ne va pas du tout.

Le déversement d'un millier d'Audacieux dans une rue propre et déserte a quelque chose de beau et de fascinant. Nous ne faisons qu'un. Enfin, ça serait beau si nous n'étions pas en train de partir en guerre, arme au poing afin de tuer le plus d'ennemis possibles.

Le bilan de la nuit de mercredi à jeudi dernier a été accroché devant les portes du self, si bien que je connais le nombre de morts par coeur. Quarante-huit Audacieux, treize Fraternels, quatre Érudits, et les membres du Conseil. On compte pas moins de deux cents blessés. Jay m'a envoyé parler avec une psy-conseillère Fraternelle parce que celle de notre faction est Luna, et étant ma meilleure amie, elle n'est pas apte à intervenir sur ma santé mentale - conflit d'intérêt, en quelque sorte.

Entre temps, certains insurgés ont été identifiés ; ils viennent de I-4. Je ne peux m'empêcher de ressentir l'envie de me venger.

Les tirs ne tardent pas à retentir et je suis prise d'une peur viscérale, issue des précédentes rixes. L'adrénaline qui court dans mes veines me pousse à me cacher, parce que ça tire depuis les fenêtres d'un immeuble. Je grimpe les escaliers, suivi par une quinzaine de camarades. Mes courbatures me ralentissent un peu, mais je ne regrette pas de m'être remise au sport, ça me permet de me vider un peu la tête.

Je n'oublie pas que ça fait dix jours que je n'ai pas de nouvelles de Jai.

_ Donne-moi une seule bonne raison de ne pas te tuer.

Mon sang se glace quand je sens le canon d'un fusil entre mes omoplates. L'homme m'ordonne de me mettre à genoux et balance son pied dans mon arme, qui glisse quelques mètres plus loin. Sa présence derrière moi me fout les jetons plus que son arme. Dans ma peur, je ne pense qu'à une chose : vas-y, tire. Il tire, je meurs. Je rejoins Liam et Jai. Je n'ai plus rien à perdre.

_ J'en ai pas, répondis-je d'une voix sourde. Vas-y, tire.

Il a l'air déstabilisé par ma réponse. Il a sûrement pensé que je le supplierais de m'épargner à n'importe quel prix. Jamais je ne m'abaisserai à ce genre de choses.

_ Vas-y, tire, répété-je. C'est les ordres que tu as reçu, non ? De toute façon, on m'a donné les mêmes... Alors, que ce soit toi ou moi, ça ne change rien, hein ? Il y en a un qui doit mourir.

Déficients [TOME 1 & 2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant