Chapitre 30.

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_ Reposez-vous madame, on va s'en occuper.

Je ricane et étouffe une exclamation de dédain. De un, le madame fait tâche, et de deux, ils ont cette habitude horrible de vouvoyer tout le monde. Personne ne m'a vouvoyé depuis... Trop longtemps pour que je m'en souvienne. J'ai leur âge, ça sonne donc particulièrement condescendant.

Abraham et Isaac sont deux frères jumeaux Altruistes, reconnaissables à leur couleur d'yeux. L'un les a gris, comme moi, l'autre les a marrons. Le plus souvent silencieux, ils donnent l'impression de toujours s'ennuyer ferme, mais leur énergie et leur force au travail sont incroyables. J'étais dans leur groupe aujourd'hui, avec des gens que je ne connais pas, et j'ai souvent dû m'arrêter, en sueur, le dos douloureux, pour les regarder s'acharner à réparer, récurer, frotter, poncer, peindre, le bâtiment dont nous avions la charge.

Je crois que tout le monde dans mes groupes de travail est d'accord pour s'accorder que la grossesse est une maladie extrêmement rare ou un handicap qui se guérit par le repos, mais je les emmerde tous, je n'ai aucune envie de rester sur mon canapé ou dans mon lit à ressasser mille pensées toutes plus noires les unes que les autres. J'ai besoin de travailler, de m'occuper le cerveau, d'être utile.

Le courage est une forme de sauvegarde.

_ Toujours pas ? Murmure-t-il en effleurant ma nuque du bout des doigts.

Je ne comprends d'abord pas de quoi il parle, jusqu'à ce que je le sente tracer les contours du faucon du bout des doigts. Mon premier tatouage. Je réfléchis un moment, le laissant suivre le chemin de l'encre noire. Ai-je encore peur du noir en moi ? Je ne sais pas vraiment, mais ce tatouage m'aide peut-être, pas à pas. Un jour, peut-être qu'il me rappellera que j'ai trouvé les ressources en moi pour vaincre ma peur.

_ Toujours pas, murmuré-je.

Il se couche à cote de moi, un sourire en coin illuminant son visage. Je le suspecte aussitôt de me faire un coup foireux, comme à chaque fois qu'il a ce stupide sourire super craquant.

_ Si tu me fais une seule crasse, tu dors dans le placard jusqu'à la fin de l'hiver prochain !

Il s'esclaffe.

_ Joyeux anniversaire, Tris.

_ Oh non, merde, c'est aujourd'hui ?

_ C'est rassurant de voir qu'à vingt-deux ans, tu as déjà oublié ta date de naissance. Habille-toi.

J'ai un sourire jusqu'aux oreilles.

_ Ça me dit bizarrement quelque chose !

_ Oui, mais on ne va pas faire une fête comme l'année dernière.

_ Ah non ?

_ Non. Ce soir, on a notre premier rencard.

Je m'habille en ricanant, faisant l'effort de revêtir la robe que j'ai achetée hier avec Hazel. Voilà pourquoi elle y tenait tant ; cette cinglée était au courant. Je le regarde en coin en essayant de ne pas baver devant la vision qu'il m'offre. Jai en chemise noire est tout simplement une vision... orgasmique. Il noue une cravate blanche autour de son cou avec des gestes sûrs. J'ai soudainement la vision d'un mari qui rentre du travail, ravi de voir ses enfants.

Je chasse cette image de ma tête.

_ Comme on est en totale autarcie pour le moment, je ne peux malheureusement pas te promettre des mets très distingués.

_ Je n'aime pas les mets distingués. Je préfère manger comme une vache avec les doigts.

_ Le romantisme, ça te dit quelque chose ? Ricane-t-il. Je disais donc, nous mangerons pizzas ce soir. Un Altruiste a ouvert une pizzeria pas loin d'ici, mais assez pour que les autres ne nous trouvent pas.

Déficients [TOME 1 & 2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant