Chapitre 19.

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A chaque minute de la journée, je suis sur le qui-vive, je suis persuadé que chaque Audacieux qui s'approche de nous va m'arrêter et m'emmener. Mais jamais rien. Les nouvelles fusent entre les binômes, et je fais en sorte de ne pas trop m'immiscer - même si je veux vraiment savoir pourquoi la scientifique qui devait être en prison était en liberté, à la recherche de ses anciens cobayes.

_ Tu devrais aller dormir, t'es vraiment crevée.

Je hoche la tête, le front appuyé contre la vitre froide et humide du tram. Il pleut encore. Ma veste trempée pend lourdement sur mes épaules et je tremble de froid. Mon fusil glacé goutte lentement sur le linoléum gris.

Liam a raison. Je dois dormir.

Je dois faire abstraction de ma peur et me reposer, parce que, sans sommeil, je serai encore plus vulnérable. Je ne peux pas me le permettre. Et je n'ai pas envie de ressasser ce qu'il s'est passé. J'entends encore le bruit des détonations, et la chute des corps sur le sol, et je revois la mare de sang. J'envisage un instant de retourner chez Jai pour être au chaud et seule, et en sécurité, mais je n'ai pas les clés et je n'ai pas envie de me pointer au Conseil pour les lui demander - je ne veux pas empiéter son territoire, et je ne veux pas le mettre en danger plus qu'il ne l'est déjà. Je dois le protéger. Il doit vivre, avec ou sans guerre.

En conclusion : je serais bien mieux chez Jai, mais plus en sécurité dans mon dortoir. On ne viendra pas me chercher des noises au milieu de trente personnes.

_ Je ne comprends pas comment une telle bavure a pu avoir lieu ! Comment pouvaient-ils être dans cette rue et filmés dans la Fosse alors qu'ils sont censé être enfermés ?!

Liam me plaque contre la paroi rocheuse, et je me cogne la tête mais il plaque une main sur ma bouche pour étouffer mon cri, je lui mets un coup de pied dans le tibia. Je reconnais la voix de Louis, notre Leader. Ils sont deux dans le couloir, un peu plus loin que l'angle dans lequel nous nous cachons. Leurs ombres tremblotent à la lueur des néons bleus.

_ L'arme qui les a abattu vient de chez nous, le tireur aussi de toute évidence, vu la trajectoire des balles. Une dans le coeur, l'autre dans le crâne. Pas de douilles retrouvées ni de balles perdues.

Je ne reconnais pas la deuxième voix. Il parle d'un ton rauque et mesuré, comme si la situation n'était pas grave.

_ Il nous a rendu service, mais les Sincères sont furieux. Teddy voulait les interroger, la plupart des dossiers des cobayes ont disparus.

_ Et les personnes qui ont subi ça, les cobayes, ils en savent quelque chose ?

_ Je n'en sais rien.

Ils se remettent en route, et Liam et moi reprenons notre chemin comme si nous n'avions pas espionné leur conversation, passant devant eux en les saluant sobrement.

Je prends une douche chaude et me glisse avec bonheur dans mon lit, rassurée par le vacarme bruyant de mes camarades de chambrée. Un groupe discute tranquillement sur un lit voisin, un autre joue au cartes, deux garçons jouent au foot dans l'étroit passage entre les lits et un autre groupe joue à Audacieux ou Sincère. Je ne m'étonne même plus de voir des gens nus.

_ Tris... Hé, Tris !

Je me réveille en sursaut et tombe à moitié de mon lit. Mon regard se pose sur Marlon, qui a l'air excité.

_ Quoi ?

_ Tu veux venir faire de la tyrolienne avec nous ?

A ces mots, mon coeur se met à battre plus vite et mon corps se charge déjà d'adrénaline, mais je ne peux plus penser qu'à mon plaisir, je dois aussi penser à ma sécurité. D'autres membres du Labo trainent pour nous capturer, et ils savent que nous nous rassemblons tous sur le toit de la plus haute tour, à la limite des secteurs Érudit et Sincère.

Déficients [TOME 1 & 2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant