Feu

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Les paroles de Poison allumèrent en moi une étincelle. Cette étincelle pourtant si petite et insignifiante, créa une flamme. Mon corps tout entier brûlait de rage. Si je ne ripostais pas maintenant, quand est-ce que j'allais le faire ? C'était le moment parfait pour lui prouver qu'il s'était trompé de victime, depuis le début.

Je m'appuyais sur mon bras endolori pour me relever. Une fois sur pieds je sentis quelques vertiges. Etais-je vraiment en état ? Bruce ne se préoccupait pas de moi, trop concentré sur les chaînes de son vélo, il ne remarqua pas que je m'étais levé et que je m'approchais maintenant de lui d'un pas décidé, déterminé à en finir. Il était agenouillé et moi me tenais debout, je le surplombais, j'avais l'impression de le dominer. Mais le dominais-je vraiment ? Qu'allait-il pouvoir faire pour se défendre ? Se lever et me mettre un pain ? Il ne fallait pas que j'oublie que ce n'était pas n'importe qui, mais Bruce que je m'apprêtai à affronter. J'inspirai profondément avant de déclarer, non sans appréhension :

« Bruce. »

Mon ton avait apparu plat, froid, sans émotion. Le genre à te figer sur place. Le genre de ton que j'entendais tous les matins, devant la grille de l'école. Je m'étonnais moi-même, auparavant, dès que je le voyais, je baissais les yeux et évitais de lui parler, et lorsque j'en étais forcé, ma voix était faible et apeurée. C'était si facile, finalement, de faire semblant de ne pas avoir peur. Peut-être qu'il avait peur lui aussi, depuis le début ? Peur que je me venge ? Cette pensée attisa la flamme qu'avait créée Poison en moi. Surpris, il se retourna machinalement pour voir qui lui parlait. A peine ses yeux croisèrent les miens que mes doigts se serrèrent, mon poing, tel un boulet de canon, fonça droit dans son nez. Il s'affala sur le sol. Des gouttes de sang tombaient sur le bitume. Je regardai mon poing, encore serré, n'en revenant pas : j'avais enfin osé le faire ! Je pensai tout haut, de manière un peu trop enjouée et étonnée peut-être :

« Ca... Ca fait tellement longtemps que j'attends ça !

- Ca fait du bien, hein ? ricana-t-il, la tête toujours orientée vers le sol.

- Tu ne peux pas imaginer... Et toi, tu vois ce que ça fait, maintenant ? »

Il ne répondit pas à ma question. J'avais frappé Bruce et son sang restait sur mes doigts. Je n'en revenais toujours pas. Il m'interrompit dans ma satisfaction en se levant. Il était plus grand que moi, ce qui me rappela à qui j'avais affaire. Il déclara d'un ton haineux :

« Frapper son adversaire quand il a le dos tourné, c'est pas très fairplay ça, hein Némo ? »

Il prépara son poing et le propulsa dans ma direction, mais je l'arrêtai d'une main. Mes réflexes étaient différents, au lieu de m'éclipser, d'esquiver, je me défendais maintenant. Ma détermination prenait le dessus. Sans lui laisser le temps de contre-attaquer, mon pied frappa son entre-jambe. Il se replia et tomba à genoux.

« Ça fait mal, hein ? lâchai-je, sous l'euphorie. Si tu savais depuis combien de temps j'attends ça. Et maintenant ça y est ! Les rôles sont inversés, Bruce. (je n'arrivais plus à me contrôler, mes mots sortant de ma bouche comme un torrent dévalant une montagne) »

La rage et la haine réveillaient une force en moi dont j'ignorai l'existence. Je sentais mon sang bouillant circuler dans mes veines. Je goûtais à la joie de vaincre. Il tentait de cacher son nez ensanglanté avec sa main, mais le sang coulait jusque sur ses lèvres.

« J'espère que tu es content de toi, murmura-t-il, sarcastique.

- T'aurais dû y réfléchir avant, Bruce, dis-je d'un ton ironique et tranchant. Je peux faire de toi ce que je veux maintenant (je pris un malin plaisir à dire cela). J'hésite entre te défigurer, te démembrer ou crever tes pneus de vélo... Et aussi, tout faire maintenant ou le répartir sur toute la semaine, histoire de voir ce que ça fait dans la durée ?

- Tu crois que tu m'effraies ? gémit-il.

- Tu vois ça ? dis-je tout en montrant mon œil touché, ignorant ses provocations pour me convaincre de ma dominance. J'aurai bien envie de te le faire, là, maintenant, et deux fois. Sur le même ou je répartis ? Et ça, demandai-je tout en sortant la multitude de petits mots de menace qu'il m'avait donnée. Je te les ferai bien BOUFFER. »

Ce flot de mots sans aucune valeur pour moi désormais sortait tout naturellement. Je me libérais de cette angoisse permanente : Bruce n'était pas aussi puissant que je ne le pensais, il ne faisait pas le poids face à ma haine et ma détermination. Sur ces mots, j'enfonçais les papiers dans sa bouche. Ses cris se retrouvaient étouffés par les feuilles. Cela me faisait tellement du bien, de le voir souffrir comme je le faisais. Mais il était temps que je rentre. Je le saisis par le col, lui lançai un regard de défi « Si tu oses me toucher moi ou encore Dory ne serait-ce qu'avec tes yeux je te jure que je te le ferai payer. ». Toujours dans mon élan de revanche incontrôlable, je pris son vélo, crevai ses pneus autant de fois que je le pouvais avant de le jeter. Avant de partir, je m'agenouillai à côté de lui et lui chuchotai avec satisfaction au creux de l'oreille « Que ce jour reste ancré dans ta mémoire, connard. ».

Je n'arrivais pas à y croire. Je venais enfin d'avoir ma revanche. ENFIN ! Je fus pris d'un fou rire incontrôlable, un rire que je ne connaissais pas, un rire machiavélique, presque démoniaque. J'étais libéré de cette angoisse, désormais, c'était à son tour de la subir.

J'avais fait ce que j'avais à faire. Le défoncer. Le faire regretter. Je me retournai, fier de mon acte, tout en pressant mon œil sanguinolent, un sourire détraqué collé au visage.

Lorsque je la vis arriver, toute impression de fierté disparut.

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Suite : Où es-tu passé Némo ?

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