Bière & Confession

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Je restai assis à regarder au dehors, le poisson chirurgien de coton toujours sur mes genoux. Les réverbères commençaient à s'allumer alors qu'il faisait toujours jour. Le vent s'était calmé, les rideaux de la chambre de Dory – ou du moins ce qu'il en restait – ne dansaient plus. Un silence régnait dans la rue, comme si la ville toute entière pleurait le départ du petit rayon de soleil qu'elle était. Je quittai les yeux de ma fenêtre et regardais la peluche entre mes bras.

Coton avait raison, mon père ne se comportait pas ainsi tous les jours : il fallait que je saute sur l'occasion. Et si j'échouais, qu'est-ce que je risquais ? Je n'en avais pas la moindre idée ; mais de toute manière ce n'allait pas être la première fois, ni la dernière. J'avais besoin de ses réponses.

J'ouvris doucement la porte de ma chambre et entrai dans la salle à manger, hésitant. La pièce était faiblement éclairée, seul le lustre au-dessus de la salle à manger était allumé, l'ampoule faiblarde menaçant de s'éteindre d'un instant à l'autre. Sur le bar juste à côté de la table, dans la pénombre, je distinguai la silhouette de mon père, bouteille de bière à la main, tout juste décapsulée. En me voyant entrer, il disparût et sortit une deuxième bouteille. Tout en l'ouvrant, il me dit sans quitter la bouteille des yeux :

« Tu devrais essayer, ça n'arrange jamais rien mais ça fait du bien, sur le moment. »

Il me tendit la bouteille, et m'invita à m'assoir. Je saisis la bière et pris une grande gorgée de la boisson alcoolisée.

« Comment tu as su, pour Dory ?

- Tu sais, ce genre de choses, ça circule vite et puis, entre voisins, ça arrive d'avoir des discussions. »

Je me retins de faire un commentaire du genre « Tu sors ? TOI, tu sors ? ». Ça me semblait plausible. Jusque-là, tout se passait bien. Il était temps pour moi de poser la question la plus difficile :

« Pou-Pourquoi tu me l'as pas dit ?

- On avait hésité, avec ses parents, à vous le dire. Enfin, eux plus que moi. On a jugé que c'était meilleur pour vous de ne rien vous dire.

- « Meilleur pour nous » ?! En quoi est-ce que nous priver de nous dire au revoir est « meilleur pour nous » ?! crachai-je.

- C'était pour votre sécurité. Vous êtes jeunes, et cons surtout. Si on vous avait mis au courant vous alliez organiser une fugue ou une connerie de ce genre. »

Je brûlai d'envie de lui crier dessus, mais je me retins : j'avais eu la chance d'obtenir mes réponses à mes questions, et elles avaient le mérite d'être claires. Le coup de la « sécurité », j'y croyais moyen, mais il avait raison concernant la fugue. Je ne savais que penser. Je pris la bouteille de bière que j'avais commencée et m'apprêtais à retourner dans ma chambre, d'un pas agacé. Il saisit mon poignet et m'arracha des mains la bouteille ; son regard noir me dissuada de contester son geste.

Je retournai dans ma chambre et m'allongeai sur mon lit, fixai le plafond. Je crois que je le déteste. Et je le détestais encore plus quand il jouait le père protecteur comme ça. Mon plafond n'avait rien d'intéressant : une simple étendue de peinture blanche ; mais il m'inspirait pourtant, me soufflant à l'oreille tout un tas d'insultes que je rêverai d'oser dire. Mais je n'allais jamais le faire et je le savais, j'étais trop « raisonnable » pour ça. J'ignorai depuis combien de temps je rêvassais devant ce plafond, mais cela faisait assez longtemps pour que mes yeux me jouent des tours, me faisant halluciner, jusqu'à voir des vagues s'y former. Les cris de Dory refirent surface. Je me relevai d'un coup et sortis immédiatement de ma chambre.

Mon père avait disparu, laissant derrière lui les deux bières vides et le lustre allumé.

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Suite : Gary

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