Bocal Bancal

Poisson lune

Cela faisait quelques mois que tout cela s'était passé, et nous ne nous étions pas revus. Malgré cette sensation étrange en moi et cette boule dans ma gorge qui se formait dès que j'y songeais de nouveau, je ne regrettai pas d'être parti la revoir. Changer d'air m'avait aidé à prendre d'avantage confiance en moi. Gary et moi nous étions rapprochés, il n'y avait plus de doute là-dessus : Gary était un réel ami, pas une fréquentation d'une année histoire de ne pas être seul en classe. Et même si nous ne nous étions pas revus, nous continuions à correspondre par lettres, Dory et moi.

Nous parlions de tout et de rien, comme avant. On ressassait souvent nos souvenirs vécus ensembles : nos balades à vélo sur le chemin du collège, nos après-midis ensembles passés chez elle, nos fou rires, nos peines lointaines désormais... Nous évitions de parler de Pearl néanmoins.

En plus du poisson chirurgien, je gardais dans ma chambre une photographie qu'elle m'avait envoyée. Assise sur le sable humide, face à l'océan, elle tournait le dos à l'objectif. Elle regardait le soleil se lever, ou se coucher, je ne savais pas vraiment. Elle avait essayé d'attacher le peu de cheveux qu'il lui restait en deux couettes brunes. A côté d'elle était posée une paire de ballerine à scratch rose et pailletée d'une petite pointure accompagnée du poisson clown de coton.

Cette photo, je l'avais collée à ma fenêtre, de telle façon à ce qu'elle recouvre ce qui anciennement était sa chambre : voir le nouveau voisin d'en face l'avoir transformée en bureau sombre inoccupé la plupart du temps me désolait. Les dauphins avaient eux aussi disparu, il ne restait plus rien de son passage : les cris des enfants résonnaient toujours dans les rues, les voitures circulaient de nouveau, les voisins reprenaient leurs discussions un poil trop animée. Peut-être que ç'avait toujours été le cas, que rien ne s'était jamais arrêté, et que je réalisai la vie autour de moi seulement maintenant ? J'avais fini par accepter son départ, son absence était moins dure à supporter, relire ses lettres me suffisaient à me réconforter.

Mon père ignorait que j'envoyais des lettres, et il valait mieux. Quant à notre fuite, il ne m'avait pas posé de questions à mon retour ni exprimé le moindre soulagement. Il restait de marbre, comme d'habitude. Je passai devant lui sans qu'il ne me prête la moindre attention et récupérait la dernière lettre de mon amie :

« Salut Némo !

Ça va ? D'ailleurs, pourquoi est-ce qu'on commence toujours une lettre par « ça va ? ». Je ne sais pas et je pense que toi non plus – tu ne sais jamais rien, poisson-tête-dans-la-lune. Quand j'y pense, au moment où je me pose la question, peut-être que ça ne va pas, mais que ça va de nouveau au moment où tu la reçois. Enfin, je t'envoie pas cette lettre pour te faire part de mes interrogations inutiles ! En plus, si ça se trouve, tout va bien.

Aujourd'hui, mes parents ont vu le poisson clown. Ils m'ont regardé d'une façon... je ne peux même pas te décrire. J'ai dû leur expliquer, évidemment : ils la reconnaissaient, cette peluche. Je ne peux pas te dire s'ils étaient heureux ou non de de nouveau m'entendre parler de toi, c'était vraiment bizarre. Peut-être qu'ils ont peur que je demande à retourner dans notre ancien bocal ? Je sais pas. Et ça m'étonnerait que tu saches.

Ce moment un peu bizarre avec mes parents, ça m'a rappelé tes soucis avec ton père... Est-ce que vous vous entendez mieux maintenant ? Ca m'étonnerait, mais bon, je demande quand même. Et je doute que tu en saches d'avantage à propos de ta mère. Tu veux que je te dise ? Je trouve ça vraiment dommage. C'est ta mère, Némo, tu es dans le droit de savoir qui elle est, où elle est, ce qu'il s'est passé avec ton père... Cette situation ne peut pas durer éternellement, et tu le sais. Enfin tout dépend de toi. Sinon, ça va ?

C'est sympa de bousculer les codes.

Dory. »

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Suite : Corail