En boucle

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Nous restions assis sur le canapé, nos regards dirigés vers Maman. Papa l'aimait. Avant, j'en doutais, mais désormais, c'est une certitude. Comment pouvais-je m'en assurer s'il ne me parlait jamais d'elle ? Sa voix n'était pas celle que j'avais l'habitude d'entendre quand il ressassait ses souvenirs avec elle. Et rien que cela suffisait pour me prouver son amour pour Maman. Mais alors, pourquoi était-elle partie ? A l'instant où j'osai jeter un coup d'œil vers lui, il m'interrompit sans même avoir à quitter des yeux la photo :

« Némo, pas ce regard.

- Quel regard ? répondis-je, interloqué.

- Ce regard que je connais bien mieux que toi. »

Je me tus et repris ma contemplation de la photographie. Ne pouvait-il pas mettre à plat correctement le fond de ses pensées, bon sang ? Je suppose que non, trop perturbé, peut-être ? Mon père poussa un long soupir avant de demander :

« Tu le veux vraiment ?

- J'en ai besoin, papa.

- Ta mère... n'est plus de ce monde. »

Sa voix tremblait sur ces mots. Ces mots qui résonnaient dans ma tête. C'était évident, elle aurait tenté de me contacter si ce n'était pas le cas. Mais je crois qu'une infime partie de moi y croyait encore. Qu'elle était là, quelque part, heureuse, avec d'autres enfants peut-être. Et cette idée, aussi naïve soit-elle, une fois brisée, me détruisit avec. Des larmes de colère et de tristesse menaçaient de s'échapper, je me mordis la lèvre, extériorisant mes sentiments comme je pouvais. Je me haïs pour cette fragilité, je devais m'être préparé à cela, avec le temps. Je ne regardais plus cette photo de la même façon. Je m'en voulais de ne rien avoir gardé d'elle, de n'avoir aucuns souvenirs de ces instants avec elle. Mon père, lui s'en souvenait. Je ne sais pas lequel de nous deux a le plus mal à l'heure qu'il est. Alors que je ne savais pas moi-même si je voulais la réponse à cette question, elle m'échappa :

« Comment ?

- Je veux que tu saches que-que ce n'est pas de ma faute.

- Quoi ?! Qu'est-ce qu'il s'est passé ?! m'indignai-je. »

Il inspira longuement, passa sa main dans ses cheveux. Il n'en avait jamais parlé. J'allais devoir résister à l'envie de poser la moindre question pendant son récit.

« Ta-ta mère et moi nous... nous nous disputions. Elle était enceinte, d'un deuxième enfant et... elle voulait le garder. Moi non, je n'avais jamais voulu avoir d'enfants... j'aimais ce que nous étions, et je ne voulais que rien ne change. Pour toi, elle ne m'avait pas laissé le choix. Alors... cette fois-ci, je ne comptais pas me laisser faire... »

Alors qu'il faisait une légère pause pour reprendre ses esprits avant de poursuivre, moi, de mon côté, je n'appréciais pas du tout la tournure que prenaient les choses. Que lui avait-il fait ?!

« Quand elle m'avait annoncé la nouvelle... Je-je, enfin, tu... Tu dois me comprendre : l'histoire se répétait, alors.. que je n'avais jamais demandé ça. Ta mère était parfaite... mais elle était têtue comme une mule. Elle voulait à tout prix le garder, me faisait déjà une liste des noms qu'elle pouvait lui attribuer... Peu importe ce que je lui disais, elle refusait. Aucun de nous deux ne renonçait... (il souffla avant de reprendre) Elle-elle avait décidé de me confronter au choix le plus terrible : elle et l'enfant, ou rien. Mais-mais t-tu dois me comprendre je-j'en voulais pas moi, j'en voulais pas de cet enfant ! s'emporta-t-il. Alors que je continuais à essayer de la raisonner... je ne sais plus comment... comment on en est arrivé là mais... elle-elle... elle a ouvert la porte, reculé... »

Il serra les dents dans une grimace de douleur. Il ne devait pas s'arrêter là. Par pitié, faîtes qu'il ne s'arrête pas là, j'ai besoin de savoir.

« Elle a reculé jusqu'à descendre du trottoir et... et... OH CETTE LUMIERE ! s'écria-t-il au bord des larmes. J'ai... j'ai jamais demandé ça, Némo ! Rien, rien de tout cela ne devait arriver... Son visage, son expression, quand c'est arrivé... Aucun de nous ne l'a vu arriver. Son corps si fragile sur le bitume... Quand je pense qu'il ne s'est même pas arrêté ! »

Un accident... Fauchée par une voiture. J'imaginais la scène, aussi difficile que cela était. Ce chauffeur nous l'avait arrachée des mains. A jamais.

« J-j-j'étais paniqué... J'ai pas pu relever la plaque d'immatriculation et-et le voisinage avait dû relever notre dispute... J-j'allais être le premier suspect, a-alors j-j'ai pris un couteau et-et... je me suis planté, je-je regardais pas ce que je faisais... Comme ça, l'on croirait que nous avions été attaqué : personne n'allait me soupçonner de quoi que ce soit, tu-tu comprends ? demanda-t-il les yeux larmoyants. »

Je ne savais rien, je n'avais jamais rien su de tout ça. Toutes ces informations folles m'étaient jetées au visage, comme si j'étais censé déjà tout savoir. J'aurai pu avoir un frère, ma mère a été fauchée par une voiture et mon père s'est planté. J'avais imaginé tous les scénarios, mais pas celui-là. Il n'attendit pas ma réponse pour poursuivre :

« On a été mené à l'hosto. Je me suis réveillée... mais elle non. Elle était partie, elle nous avait laissé, toi, moi, la famille que nous formions... (il essuya quelques larmes qui tentaient de s'échapper) Je-je suis rentré dès que j'ai pu, je t'ai pris avec moi, j'ai pris cette photo aussi, et-et j'ai fui. Je ne pouvais pas... Je ne pouvais pas continuer à vivre ici en faisant comme si rien ne s'était passé... Je-je ne pouvais pas mettre le pied dehors sans la revoir sur le sol... »

Je posai ma tête sur son épaule. J'avais ignoré tout de son passé pendant des années, ses confidences m'avaient permis de mieux le connaître.

« La dernière fois que j'ai entendu sa voix, elle me criait « Si tu me laisses partir, alors tu ne m'as jamais aimée ! ». Et... je l'ai laissée partir. Je l'aimais tellement, si tu savais, déclara-t-il le cœur brisé. Tu ne peux pas savoir à quel point je m'en veux, à quel point...

- C'est pas de ta faute, Papa.

- (il rit d'un air mélancolique) Tu es comme elle... Avec elle, rien n'était de ma faute. »

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Suite : Némo

Bocal BancalOù les histoires vivent. Découvrez maintenant