Corail

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Chacune de ses lettres était une pépite, elle arrivait toujours à m'arracher un sourire, quelle que soit mon humeur. Mais celle-ci soulevait un problème qui demeurait jusque-là : mes parents. Dory était une sorte d'échappatoire de mon quotidien auprès de ma famille, je n'avais pas vraiment l'habitude d'en parler avec mes amis en général, je me contentais de profiter de mes journées sans avoir affaire avec mon père. Et qu'elle aborde le sujet ainsi me laissait dans un état étrange, comme si elle venait de pénétrer là où elle ne devait pas. Mais bizarrement, cela me poussait à faire en sorte que les choses changent : les autres parlaient de leur famille ouvertement, pourquoi pas moi ? J'avais les droits de savoir tout ça, ça me concernait, j'étais même le premier concerné. Pourquoi ne m'étais-je pas rendu compte de cela auparavant ? Peut-être parce que je refusais de m'opposer à mon père.

Je levai les yeux de ma lettre et le regardai, allongé dans le vieux canapé vert, bouteille de bière dans une main et l'autre ballante. C'était difficile à admettre, mais parfois, il me faisait de la peine, à rester enfermé à la maison à enchaîner les bières sans chercher à faire connaissance avec le monde extérieur. Il était loin d'être comme moi : il n'était en rien intimidé par les autres. Alors qu'est-ce qui le cloitrait ici ? Pourquoi ne cherchait-il pas à rencontrer des gens ? Des amis, une femme, peut-être... Peut-être que tout cela était lié à ma mère. Il fallait que je lui en parle, et cette fois-ci je n'allais pas renoncer. Je pris une bière dans le bar et m'installai sur l'accoudoir du canapé, mon père prenant toute la place.

Il ne me regarda pas, obnubilé par la télé pourtant éteinte. Lorsque le bruit de la cannette de bière que j'ouvrais retentit dans le silence, il détourna ses yeux de l'écran noir vers la cannette et commenta nonchalamment :

« Tu te sers, maintenant ? »

Il n'attendit pas de réponse de ma part et replongea dans son activité, soupirant. Je grimaçai, ce n'était pas comme ça que j'allais attirer son attention. Je me levai et partis chercher le cadre photo, où figurions ma mère et moi. Alors que je retournai m'assoir sur l'accoudoir, la photo entre les doigts, je vis son visage pâlir un peu. Il fit mine de n'avoir rien vu.

« Je peux te poser une question ? demandai-je, la voix posée.

- Je t'écoute.

- A propos de M...

- Tu n'as pas envie de savoir, me coupa-t-il sèchement.

- Papa ! Je suis dans le droit de...

- TU N'AS PAS ENVIE DE SAVOIR ! hurla-t-il, tout en m'arrachant le portrait des mains. »

Il se leva brusquement du canapé. Je ne l'avais jamais vu dans un état pareil, et cela me glaçait le sang. Son visage était rouge, sa mâchoire, ses dents et ses poings serrés, les sourcils arqués. Le moindre muscle de son visage était tendu, ses veines ressortaient et il tremblait de rage. La terreur me figeait sur place, mais je ne le quittai pas des yeux, par peur qu'il ne me frappe si j'osais détourner le regard. Celui-ci se faisant insistant, mon père répéta une nouvelle fois : « TU N'AS PAS ENVIE DE SAVOIR ! » d'une voix changée. Et il le répétait sans cesse, se laissant petit à petit emporter par cette folie dévastatrice : la haine. Il brisa sa bouteille contre le sol et m'hurlait ces mots au visage. Il leva la main, prêt à me frapper, serra le poing puis se ravisa. Je compris qu'il fallait que je retourne dans ma chambre, alors je le fis.

« Némo, tu devrais te coucher maintenant... Ton père est dans un sale état, tu ne dois pas le déranger.

- Ne renonce pas encore ! Tu ne pourras pas éviter cela pour toujours... conclut Poison. »

Alors que je fermai la porte derrière moi, je l'entendis une dernière fois, la voix brisée par un chagrin inconnu, demander au cadre photo : « Il n'a pas envie de savoir... pas vrai Corail ? »

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Qui suivre : Coton ou Poison ? A vous de choisir !

Coton : Comme la mer

Poison : Comme les larmes

Bocal BancalOù les histoires vivent. Découvrez maintenant