Bocal idéal

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« Je vais rejoindre Dory. »

Gary se retourna vivement, n'osant pas quitter la route des yeux trop longtemps, comme pour s'assurer de ce qu'il venait d'entendre. Oui, j'allais de nouveau partir pour Toulon. Il éclata de rire et lança :

« J'ai une légère impression de déjà-vu, pas toi ? »

Je ris. On avait vécu une sacré aventure ensembles, en moto sans permis au milieu des bois.

« On va opter pour un chemin plus... traditionnel. Ca te va ? lança-t-il, rieur.

- Parfait ! On va éviter les ennuis cette fois ! »

Gary sourit sous son casque. Les HLM disparaissaient peu à peu pour laisser leur place aux bois de chênes et de pins. Cette escapade, l'humidité de l'air de la forêt et le vent froid qui s'engouffrent sous mon t-shirt me rappelaient les sensations de cette fameuse fugue. J'étais tellement angoissé ce jour-là, alors qu'aujourd'hui je me sentais comme apaisé. Nous passâmes sur le pont, cette fois-ci, l'envie d'en sauter ne fit pas surface. Le courant était fort et l'eau toujours aussi sale. Je réalisais à quel point nous avions été inconscients ce jour-là. Mais ces souvenirs étaient indestructibles : Gary et moi étions à jamais liés après avoir vécu cela ensembles.

Le soleil était fatigué et le ciel rosé, parsemé de quelques doux nuages çà et là. Alors que nous nous approchions de la gare, Gary ne ralentissait toujours pas. Puis nous la dépassâmes.

« Gary qu'est-ce que tu fous ? Demandai-je stupéfait.

- Je t'emmène à Toulon. On l'a fait une fois, pourquoi pas une deuxième ? »

Je souris. Imprévisible. Je le remercie en lui tapant sur l'épaule, mais il repoussa ma main rapidement en répétant que c'était normal. Tandis que nous continuions notre route, le soleil se couchait et la lune et les étoiles prenaient le relais pour nous guider. Pas un chat sur le bitume, personne. Juste nous au milieu de la nuit et du silence, notre univers. J'osai lâcher les mains un instant et tendis les bras dans un souffle de liberté et de joie : j'allais prendre le contrôle de ma vie. Gary pouffa légèrement dans son casque mais se retint de soulever la moindre remarque : j'étais ridicule, mais était-ce si grave que cela ?

Je reconnus au loin les lampadaires de Toulon et leur lueur orangée. Puis tout alla très vite. A peine avions nous pénétré dans la ville que je dû descendre et laisser Gary retourner chez lui. Avant de reprendre son chemin, il laissa au creux de ma main une petite moto métallique avec la carte de visite du garage qu'il tenait avec son père.

« On s'oublie pas ? demanda-t-il, la gorge serrée.

- On s'oublie pas. »

On se prit dans nos bras. Après quelques instants, il se retira, me sourit, abaissa la visière de son casque. Le moteur démarra et il s'éloigna jusqu'à ce que la nuit l'emporte avec elle. Seul face à moi-même, je retournai sur la plage, auprès de l'océan : seul endroit où je me sentais bien. Le murmure des vagues sut apaiser le chagrin du départ. Replié sur moi-même, je le laissais me bercer doucement.

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La lumière du jour me tira de mon léger sommeil. La mer s'était rapprochée, quelques voiliers naviguaient au loin. Le soleil chauffait le sable.

« Coucou toi ! »

Je levai brusquement la tête. Je n'étais pas fou ? Elle se tenait là, la main tendue vers moi, son poisson clown de coton sous le bras. Elle reprit :

« On a quitté son bocal ? »

Non, je ne rêvais pas. Elle seule aurait pu dire cela. Je me levai et la serrai contre moi. Je l'avais fait. J'étais à Toulon avec Dory. Je la sentis sangloter contre mon épaule – elle n'avait jamais rattrapé ce retard de croissance.

« Je suis désolée. Il faut... il faut que je t'explique. »

Je lâchai l'étreinte. Elle baissa les yeux et se confia tout en triturant ses mains :

« Pearl... tu te rappelles ?

- Bien sûr. Répondis-je sèchement.

- Eh bien... Je ne l'ai jamais 'aimée'. »

A quel jeu est-ce qu'elle jouait ? Je l'avais bien vu la prendre par la main. Elle l'avait même présentée comme telle à Gary et moi. Face à mon silence elle reprit :

« J'arrivais pas à me défaire des souvenirs... Tu comprends ? Je te voyais partout, mais je voulais me détacher de tout ça, je savais que je ne rencontrerai jamais quelqu'un comme toi ! Et Pearl est arrivée et... elle m'aimait. C'est atroce, je sais, mais...

- Je ne t'en veux pas, l'interrompais-je pour la rassurer avant que les vagues de larmes ne franchissent ses paupières.

- Tu m'agaces ! répliqua-t-elle en riant. »

Elle passa sa manche sur ses yeux rougis par l'émotion. Soulagée, elle s'assit sur le sable à côté de moi. Le regard dans le vague, elle regardait les mouettes voler au loin. Elle me demanda sans quitter des yeux le tableau :

« Et si on créait notre propre bocal ?

- Un bocal royal ou un bocal bancal, peu m'importe, du moment que nous y vivrons, ce sera le bocal idéal. »

Elle me sourit. Son sourire était si radieux. Ses lèvres rencontrèrent les miennes et je pus de nouveau goûter à l'océan et au soleil de l'été.

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Epilogue : Une touche de bleu

Bocal BancalOù les histoires vivent. Découvrez maintenant