Je le vois tu sais.

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Je regardais Gary, toujours concentré dans sa réflexion. S'il mettait autant de temps à y réfléchir, c'était sûrement parce que ça ne le rassurait pas tellement de me suivre. Ca se comprenait.

« N'importe quoi ! En quoi est-ce que le protéger c'est l'emprisonner ? continua Coton.

- Tu l'empêches de vivre sa vie comme il le souhaite ! Laisse-le suivre ses envies, détends-toi un peu au lieu de toujours chercher le danger partout.

- Faire attention c'est bien meilleur que suivre ses pulsions, je fais attention à lui. Je ne suis pas là que pour m'amuser, je suis responsable, moi ! répliqua Coton.

- Non mais écoute toi, tu m'étonnes que Némo me choisisse presque à chaque fois ! se moqua Poison.

- Ca suffit ! m'agaçai-je. »

Gary releva la tête d'un coup, perdu. Il me lança un regard interrogatif et surpris. J'avais parlé un peu trop fort, visiblement. Après un léger silence embarrassant, je m'expliquai :

« Non, enfin, je-je... C'est que je m'impatiente là !

- T'es vraiment sûr que tu veux le faire ? me demanda-t-il, perplexe.

- Oui, enfin, je...

- Laisse tomber, ça doit être la fatigue. Tu voudrais pas plutôt passer chez moi pour te changer les idées ? »

J'eus à peine le temps d'esquisser un sourire qu'il s'exclama :

« Super ! »

Il me saisit par l'épaule et nous partîmes en cours.

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La journée avait été longue. Je n'avais suivi les cours que d'une oreille, accordant toutes mes pensées à Dory. Deux ans, ce n'était pas grand-chose ; mais d'un autre côté, on change beaucoup, en deux ans. Peut-être n'allait-elle plus être la Dory que j'aimais à l'époque ? Peut-être n'allait-elle plus être la Dory folle du monde sous-marin ; mais une nouvelle Dory, blasée de vivre à la mer ? Coton avait raison, finalement : la revoir n'était pas une si bonne idée, il fallait que je garde l'image de la-Dory-d'avant, même si cela allait être dur pour moi.

Gary ouvrit sa maison et me laissa y entrer, sans retirer mes chaussures, ce qui me perturbait. Sa maison était assez petite, les pièces étaient étroites, mais au lieu de se sentir écrasé, oppressé, on se sentait bien chez lui, comme dans un petit cocon. Il m'invita dans sa chambre, à son image. Les meubles étaient simples en soi, c'était la décoration (faite par Gary lui-même) qui faisait tout le charme de l'endroit. En oubliant les vêtements, les boulettes de papier, les stylos, les cahiers, les manettes de consoles et les fils en tout genre traînant sur le sol, cette chambre était belle. Son lit était simple, les draps gris, recouverts de coussins en tout genre. Sur le sol, une moquette bleue marine un peu usée. Sa plus grande fierté, c'était ses murs : l'un d'eux était entièrement peint de peinture ardoise, Gary y avait écrit des tas de calculs et autres schémas sur les paradoxes temporels, univers parallèles et d'autres thèmes qui le passionnaient. Un autre mur, lui, était empli de dessins - ou plutôt de croquis - réalisés au crayon à papier : des prototypes de vaisseaux spatiaux, des planètes, des comètes, des étoiles... Et enfin un troisième mur, celui dont il était le plus fier : il avait réussi à reproduire une image de la Voie Lactée à la bombe ; et lorsqu'il éteignit la lumière, la peinture fluorescente s'illuminait, nous plongeant dans un univers infini qu'était le sien.

Il donna des coups de pieds dans ses affaires pour nous faire un peu de place devant la petite télé que lui avait offert sa mère.

« Un film, ça te dit ? »

Il sortit des tas de boîtes de DVD et jeux vidéo. Il fit un rapide tri parmi les boîtes et me proposa :

« Ok, alors j'ai Interstellar, Gravity, Seul sur Mars, Star Wars, Star Trek, Apollo 13...

- Tu as pas autre chose que des films dans l'espace ? l'interrompais-je.

- Prometheus ? tenta-t-il une dernière fois.

- Bon, riai-je. On va faire autre chose ! »

Il fouilla dans ses tiroirs et sortit un DVD à l'emballage un peu bleu, il me le tendit et s'exclama, riant déjà de sa blague :

« Sinon, j'ai Le Monde de Némo ? »

Je lui donnai une tape sur l'épaule, amusé.

« Pff, t'es con !

- Je le vois tu sais.

- De quoi tu parles ?

- Arrête ça se voit à des kilomètres ! insista Gary.

- Je comprends pas de...

- Dory ! m'interrompit-il. Avoue que tu y as pensé toute l'après-midi. (Je ne répondis pas) Tu sais quoi, on va aller la voir, Dory : tu me fais de la peine là. »

******

Il prit un scooter attaché dans son jardin et nous partîmes, les mains vides, mais le cœur plein d'adrénaline. J'ignorai qu'il savait conduire ce genre d'engin ! Mais sa conduite restait encore incertaine, virant un peu sur les côtés de temps à autres. Je ne m'inquiétai pas pour autant : la route était presque déserte, à part les petits vieux qui roulaient à deux à l'heure, personne ne partait pour Toulon en pleine période scolaire. Je ne me faisais pas tellement de soucis pour nous, contrairement à Coton. En réalité je ne pensais qu'à une chose : j'allais enfin revoir Dory.

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Suite : Sirènes

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