Confusion

4 1 0
                                    

Nous savions pertinemment que nous n'étions pas en sécurité, que la situation allait même s'aggraver, mais on pensait au moment présent : on venait quand même de faire une course poursuite avec un policier et se jeter par-dessus un pont !

Finalement, le courant du fleuve était plus agité que je ne le pensais : nous peinions à nager, nos vêtements lourds imbibés d'eau. Non, je ne me trouvais pas dans un énième rêve, j'étais bien dans la réalité, et si nous ne sortions pas d'ici, nous allions couler. Non sans peine, nous finîmes par rejoindre la rive, essoufflés mais fiers. Nous nous assîmes pour reprendre notre souffle et profiter du paysage. Une étendue de blé se tenait devant nous et brillait sous les rayons du soleil.

Un reniflement m'interrompit dans ma contemplation. Je me tournai vers Gary qui regardait au loin : ses yeux étaient rouges, sur le point de pleurer. Je ne savais pas quoi faire, c'était de ma faute s'il était ici, je n'allais pas lui dire nonchalamment « Oh c'est rien ! ». Le silence était la meilleure chose à faire dans cette situation, mais rester ainsi à le regarder me gênait. Son état me rejetait en pleine face mon égoïsme : Je l'avais forcé à me rejoindre sans penser ne serait-ce qu'une seconde à ce que tout cela impliquait de son côté. Au lieu d'essayer de l'aider à s'améliorer en cours comme j'étais supposé le faire au début, je l'incitais à faire des escapades à mille bornes de chez lui, à larguer le scooter de son père... Je faisais tout le contraire de ce que l'on m'avait dit de faire : je ne faisais que l'enfoncer d'avantage en lui faisant sécher les cours comme ça. Il sortit son portable de sa poche et essaya de l'allumer mais rien à faire : la batterie était noyée. Il poussa un long soupir, il ne dit rien, se concentrant pour ne pas laisser ses larmes couler. J'étais l'unique responsable de cette situation, et je me trouvais impuissant désormais. Incapable de le regarder ainsi plus longtemps, je le pris dans mes bras, et il laissa ses larmes couler à flot sur mon T-shirt.

« Je-je... Je sais pas si-si je suis heureux, hoqueta-t-il. »

Il se retira d'entre mes bras et s'essuya vulgairement les yeux avec le revers de sa manche. Il regarda le champ de blé s'agiter sous le vent, le temps que ses sanglots se calment, puis il reprit, entre deux reniflements :

« Je-je sais pas trop ce qu'il se passe dans ma tête, de-depuis qu'on est parti. (Il prit une grande inspiration) Je veux dire... j'ai tout pour être heureux : j'ai une famille qui m'aime et qui me soutient, j'ai pas de problèmes d'argent, je vis dans un endroit qui me plaît, j'ai des amis, tout ça. Mais j'ai toujours eu... tu sais, cette impression d'insatisfaction au fond de moi, comme si j'étais pas fait pour ça. »

Il se tourna vers moi, attendant mon avis, se demandant sûrement s'il était en train de devenir fou. Mais il avait besoin de s'exprimer, pas de m'entendre, alors je le relançai simplement :

« Pas fait pour quoi ?

- Métro-boulot-dodo, avoir une femme et de beaux enfants, tout ça. Et je crois que cette escapade avec toi m'a fait ouvrir les yeux sur ce que je voulais vraiment faire de ma vie, déclara-t-il. »

Il fit une pause et regarda autour de lui d'un air inspiré. Il sourit :

« Voyager, voir des paysages, dormir à la belle étoile : c'est ça que je veux faire. »

Il se releva, laissa son portable mort sur le sol et me tendit la main pour m'aider à me relever :

« Alors, qu'est-ce que t'attends ? On y va ! »

Nous rejoignîmes l'autoroute quasi-déserte pour faire du stop. Après plusieurs heures sans résultat, une camionnette s'arrêta. Elle était vieille, sa carrosserie rouge était si poussiéreuse qu'on ne la voyait presque plus. Elle tirait derrière elle une sorte d'immense caravane, tout aussi sale. Le vieillard à l'intérieur nous invita à monter : il se rendait à Toulon. Je m'installai à l'avant tandis que Gary restait à l'arrière pour se reposer. Nous roulions ainsi quelques instants, sans dire un mot, quand le vieillard commença la conversation :

« Eh bien mes p'tit gars vous êtes pô bien bavards !

- Dé-désolé monsieur, nous ne voulions pas vous déranger...

- Ca m'dérange plus d'avoir affaire à des p'tits gars muets comme des tombes qu'à deux p'tits gars qui m'racontent leur aventure ! m'interrompit-il. »

Je ris : il était amusant, ce vieil homme. C'était étrange, mais son visage, sa façon de parler ne m'étaient pas inconnues, c'était comme si je l'avais déjà vu. Je me retournai et vis Gary allongé sur la banquette arrière, endormi. Sans quitter la route des yeux, le vieillard me pointa de son doigt tremblotant :

« Toi, je t'ai d'jà vu qu'que part. C'est quoi ton p'tit nom dis-moi ? »

Devais-je vraiment lui dire la vérité ? S'il me connaissait réellement il allait peut-être nous ramener auprès de nos parents ? Mais lui mentir n'était pas sympa de ma part.

« Tu ne nous éviteras pas cette fois Némo ! coupa Poison. Moi je pense que tu devrais lui dire, ton nom. Au pire, tu sautes de la voiture ! Après tout, tu as bien sauté d'une moto pour finir dans un fleuve, alors...

- N'importe quoi ! Imagine si ce vieil homme te veut du mal ? Invente un nom bidon, c'est plus prudent... »

***************************************************************************************

Qui suivre : Poison ou Coton ? A vous de choisir !

Poison : Confiance

Coton : Méfiance

Bocal BancalOù les histoires vivent. Découvrez maintenant