Dauphin de l'espace 1

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Il était tard, mon visage était terrifiant, mais j'étais prêt à tout pour en avoir le cœur net : je tenais à Dory et elle devait tenir à moi aussi. Coton avait réussi à me convaincre : si elle était mon amie elle me pardonnerait.

J'enfilai un manteau et une grosse écharpe. Il ne faisait pas si froid dehors, mais je voulais cacher le plus possible mon visage. Je sortis de ma chambre sans m'attarder sur la trace de sang qui m'avait fait douter la première fois. Je me dirigeai vers la porte d'entrée pour quitter les lieux lorsque je vis le lustre toujours allumé, illuminant l'œuvre de mon père que j'avais intitulée « Lasagnes de l'enfer ». J'éteignis la lumière, ouvrit la porte et sortit. Juste avant que la porte ne se ferme, je l'entendis :

« Némo ? »

Je pris peur et me cachai sous ma fenêtre, il n'allait quand même pas m'empêcher aussi de m'occuper de Dory ? Je jetai un coup d'œil au travers de la vitre : je le vis déambuler dans la pièce, rallumer la lumière, soulever machinalement son assiette vide puis retourner dans sa chambre en haussant les épaules, bouteille à la main. Il avait encore oublié d'éteindre le lustre. Désormais, plus rien ne pouvait m'empêcher d'accomplir ma mission. Je fonçai en direction de son bocal et toquai. Une première fois, puis une deuxième. Sans réponses. Pourtant elle était là, dans sa chambre, je la voyais ! Je l'appelai une fois, une autre fois encore, mais en vain. Je regardai autour de moi : de l'herbe et du bitume, pas une seule pierre à l'horizon. Mon regard se posa sur mes pieds, je retirai mes chaussures et lança la première contre sa fenêtre. Elle se retourna et fronça légèrement les sourcils. Enfin ! Je lançai ma deuxième alors que Dory avait déjà sorti la tête de son bocal, elle attrapa mon projectile d'une main, à quelques centimètres de heurter son visage. Dory tourna et retourna ma dernière cartouche, désormais entre ses mains, et déclara en riant :

« Tu sais Némo, on retire ses chaussures une fois entré dans la maison, pas avant. Décidément, tu ne seras jamais « comme un adulte » !

- Et toi Dory ? Depuis quand les adultes n'ouvrent pas la porte quand quelqu'un y toque ?

- Et des chaussons en plus ? Là je te reconnais Némo, continua-t-elle amusée, feignant ne pas m'avoir entendu. »

A la lumière de sa chambre, je réalisai mon erreur. Des chaussures, j'avais oublié de mettre des chaussures. Elle tenait entre ses mains mon « patin de l'espace » tâché de chocolat chaud ça et là. Je rougis, honteux.

« Sympa les petites fusées, mais j'aurai préféré des poissons, se moqua-t-elle gentiment. Allez, entre. C'est ouvert. »

Je franchis la porte d'entrée et pénétrai dans son bocal qui m'était familier depuis longtemps maintenant. Et comme à mon habitude, je ne prêtais pas d'attention au hall ni au salon pour me rendre directement dans sa chambre. Les étagères et les murs étaient nus, le fauteuil en forme de requin avait aussi disparu, cédant sa place à une pile de cartons. Seuls le lit et le papier peint me permettaient de dire qu'il s'agissait bel et bien de sa chambre. Face à mon air désabusé, elle me fit m'assoir avec elle, sur son lit.

« Némo, il faut qu'on parle...

- Qu'est-ce qu'il se passe ? demandai-je, ne voulant pas croire ce que je voyais.

- De toute façon, je pense que tu as compris... (elle hésita un instant avant de reprendre) Bon, voilà : je déménage. »

Je ne m'étais donc pas trompé. Dory allait partir. Ma seule et unique amie allait partir. Je n'osais même pas imaginer ce qu'il se serai passé si j'avais choisi d'écouter Poison. Je l'aurai laissé. Non, ce n'était pas possible, elle ne pouvait pas !

« Je ne sais pas où exactement, ni quand, mais on part. Direction la méditerranée, poursuit-elle (je crus percevoir une once de joie dans sa voix triste et monotone à l'annonce de sa destination).

- Mais c'est super Dory, depuis le temps que tu rêvais de vivre à la mer ! répondis-je, cachant mon désespoir.

- Arrête Némo, tu sais ce que ça signifie.

- Oui, je sais... »

Un silence s'installa. On savait tous les deux ce que cela impliquait. Nous n'avions pas de portable, elle ne savait pas son adresse et des centaines de kilomètres allaient nous séparer : notre amitié était vouée à s'arrêter le jour où elle partirait, et nous ne pouvions rien y faire. Elle regardait tristement sa couette au motif dauphins. Dans sa façon de la fixer, je revis la petite Dory de 7 ans, aux couettes et des dents de fers, regarder ses petites ballerines roses.

« Tes parents sont là ? finis-je par demander, inquiet.

- Oui, répondit-elle tristement. Tu ne devrais pas être là...

- Je sais mais je veux rester avec toi ! Imagine si... Imagine si tu pars demain ! m'emportai-je. »

Elle s'apprêtait à me répondre lorsqu'on entendit des pas dans les escaliers. Elle me regarda, me suppliant de partir. L'océan de ses yeux débordait et des vagues de larmes coulaient sur ses joues. Je ne pus retenir les miennes, la serrai dans mes bras aussi fort que je le pouvais, et lui chuchotai, paniqué :

« Ne pars pas demain, je t'en supplie, ne pars pas demain !

- Je ne partirai pas demain, je te le promets. »

Sans réfléchir, je sautai par sa fenêtre. J'atterris lourdement sur la hanche et continuai ma course contre la montre jusque mon bocal. Je fonçai dans ma chambre pour voir ce qu'il se passait dans son bocal, mais à l'instant où je fus prêt, sa mère ferma les rideaux et éteignit la lumière. Avant de me laisser emporter par mon sommeil, je crus la voir ouvrir ses rideaux et me regarder.

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Suite : Promesse

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