Vers de nouveaux océans

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Je restais béat : mon père m'autorisait à partir. Cela dit, il ne me l'avait jamais réellement interdit non plus. Jusque maintenant, je restais parce qu'il avait besoin de moi autant que moi j'avais besoin de lui. Désormais, plus rien ne m'enchaînait ici. Je pouvais partir. Je n'aurais plus à me remémorer tous ces souvenirs teintés de chagrin et de regrets à chaque coin de rue.

L'état de mon père s'était amélioré, mais il était toujours loin de déborder d'énergie. L'alcool, le chagrin et le temps avaient fait de lui un vieillard avant l'heure : fatigué, tremblant aux moindres mouvements, sa mémoire allait sûrement lui faire défaut bientôt... Partir signifierait le quitter. Y arrivera-t-il seul sans moi ? Est-ce qu'il retomberait, et tous nos efforts auraient été vains ?

Alors qu'il s'était assis à côté de moi, il triturait une pièce de monnaie rouillée entre ses doigts : il appréhendait. Je ne savais s'il souhaitait réellement que je parte. S'il me détestait autant qu'il me le montrait plus jeune, il m'aurait laissé partir bien plus tôt. Notre relation avait toujours été plus ou moins floue. Il avait sacrifié sa jeunesse et son bonheur pour moi, n'était-il pas temps pour moi de m'envoler et profiter pleinement de ce que la vie m'offrait ? Pourquoi avoir fait un tel sacrifice, si c'est pour me voir périr dans la pénombre comme lui ? N'aurait-il pas voulu que je vive heureux, ce que lui n'a pas pu faire ? Face à mon air préoccupé, il se pencha vers moi :

« Alors ? »

Je me mordis la lèvre. Je ne savais pas comment lui annoncer mon envie de prendre le large. Il poursuivit doucement, d'une voix sage et posée :

« Tu sais... Si tu veux partir, je ne t'en voudrais pas. »

Je ne pus m'empêcher de sourire : le poids de la culpabilité s'envola. Il dût voir mon visage se radoucir et sourit à son tour avant de continuer :

« C'est normal, tu es jeune ! Tu as soif d'aventures... Le monde, l'océan tout entier t'attendent : tu as toutes les raisons de partir.

- Merci Papa, répondis-je apaisé avant de le prendre dans mes bras. »

Il ne refusa pas l'étreinte, lui qui pourtant n'avait jamais accepté de contact physique tel venant de ma part auparavant. J'allais rester auprès de lui le reste de la journée et partirais lorsque le soleil se couchera.

Nous sortîmes faire une ultime promenade, à sa demande, pour la première fois. Nous fîmes le tour du quartier, et je passais en revue ma petite vie. Cette école et ses enfants qui y courent, les filles toujours ensembles, attisant la curiosité des garçons. Ce collège et son garage à vélo dans lequel je me précipitais pour partir au plus vite. Cette rue par laquelle je passais chaque jour, rue où Bruce m'avait attrapé. Ce lycée et son arrêt de bus, où Gary et moi parlions de tout et de rien par tous les temps. Ce parc dans lequel je passais mes week-ends entier. Tous ces lieux allaient me manquer, mais ils hanteront mes souvenirs encore longtemps.

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Le soir tombait et le ciel commençait à devenir rose lorsque je décidai de partir. Je ne pris que peu de choses avec moi : le polaroïd avec Dory face à la mer accompagnée de son poisson clown de coton, une autre photographie avec mon père au pied du vieux chêne sur la falaise avec le cadre photo de maman dans ses bras, quelques vêtements et un peu d'argent. Je caressai une dernière fois Polochon, tout gris, et lui fit promettre de veiller sur Papa en mon absence. Je vais prendre son bâillement pour un oui. Mon père m'accompagna au-devant de la maison, il ne sortit pas mais me regarda sortir depuis le pied de la porte. Le ciel rose et violet se reflétait dans les vitres du bocal d'en face. Un instant, je crus voir les couleurs s'y mélanger, dodeliner légèrement, comme un océan calme un soir d'été. Il allait me manquer.

Gary avait tenu à m'emmener à la gare en moto : comme moi, il aimait les symboliques. Je montai derrière lui et fis un dernier signe à mon père avant que le moteur ne démarre et m'emporte au loin. Il agita légèrement la main en retour, et ce fut tout. Gary me lança d'un ton sarcastique :

« Bon, maintenant, dis-moi le vrai plan ! »

Je ris. Pas de course-poursuite prévue avec la police cette fois. Il était triste de mon départ, je le sentais à sa façon de conduire : il allait doucement, faisant en sorte de rendre le trajet le plus long possible pour profiter de chaque seconde qu'il nous restait. De toute manière, quand Gary était ironique, c'est qu'il ne voulait pas s'avouer qu'il était ému. J'avais eu l'occasion de le voir pratiquer devant de nombreux films.

« J'imagine que je vais devoir attendre longtemps avant de regarder « Seul sur Mars » avec toi ! reprit-il.

- Arrête, on dirait que je vais mourir ! m'exclamai-je, amusé.

- C'est pareil. Tu nous quittes, tu vogues vers de nouveau océan, explores une nouvelle planète... Tu vas où d'ailleurs ? »

Où est-ce que je vais ? Je ne sais pas, je comptais y réfléchir une fois à la gare. Est-ce que je devrai rejoindre Dory à Toulon, ou tourner la page et naviguer vers l'inconnu ?

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A vous de choisir !

Partir seul : De belles promesses

Rejoindre Dory : Bocal idéal

Bocal BancalOù les histoires vivent. Découvrez maintenant