De belles promesses

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« Je ne sais pas où je vais. »

Gary se retourna vivement, n'osant pas quitter la route des yeux trop longtemps. Ma réponse, pourtant sincère, n'avait pas l'air d'avoir frayé son chemin jusqu'à lui. Cependant, je sentais qu'il l'avait entendu, dans sa gestuelle, quelque chose avait changé. Après un léger silence, il s'exclama amusé :

« T'es vraiment un malade toi, tu sais ça ? »

Je ris de nouveau. J'étais probablement fou, mais j'aimais l'idée de partir vers l'inconnu. Dory et moi avions perdu contact depuis quelques temps, peut-être était-ce un message, un signe qu'il fallait passer à autre chose ? Je n'allais pas rester enfermé dans mon enfance toute ma vie. J'avais besoin de respirer un air nouveau, découvrir de nouveaux visages, de nouveaux paysages. Partir de zéro, tout recommencer. Qu'est-ce qui m'en empêchait ?

« Et je suis censé te conduire où, du coup ? reprit Gary, rieur.

- A la gare ?

- C'est une question ? répondit-il perturbé.

- Non, non ! A la gare, bien sûr. »

Il sourit sous son casque. Les HLM disparaissaient peu à peu pour laisser leur place aux bois de chênes et de pins. Cette escapade, l'humidité de l'air de la forêt et le vent froid qui s'engouffrent sous mon t-shirt me rappelaient cette fameuse fugue. J'étais tellement angoissé ce jour-là, alors qu'aujourd'hui je me sens apaisé. Nous passâmes sur le pont, cette fois-ci, l'envie d'en sauter ne fit pas surface. Le courant était fort et l'eau toujours aussi sale. Je réalisais à quel point nous avions été inconscients ce jour-là. Mais ces souvenirs étaient indestructibles : Gary et moi étions à jamais liés après avoir vécu cela ensembles.

« On était con quand même, remarqua Gary.

- Quoi ?

- On était con d'avoir paniqué, la gare était vraiment pas loin. Ça nous aurait évité ce que tu sais, haha !

- C'est toi qui tenait le volant je te signale, c'est peut-être pas moi le con de l'histoire. Répliquai-je ironique.

- Enfin, je m'étais pas embarqué là-dedans tout seul non plus ! »

Nous rîmes et arrivâmes à la gare. Pas un chat. Le ciel était rose. Nous nous assîmes sur un banc le long du quai, à attendre le prochain train direction l'inconnu. Il se frottait les mains, ses mitaines aux doigts. Rester assis à ses côtés sans se dire un mot me rappelait ces moments passés sous l'abri de bus sous la neige à la regarder tomber en silence. Encore un instant si précieux dans sa banalité.

J'entendis les rails grincer au loin. Le train arrivait. Nous nous levâmes tous deux, comme lorsque le bus venait nous chercher. Sauf que cette fois, je partais seul. Il me regarda et m'adressa un petit sourire en coin. Je le pris dans mes bras. Il me serra plus fort :

« Merci pour tout, me murmura-t-il. »

Le train s'arrêta. Il fallait que je monte. Il déposa au creux de ma main une petite moto en métal et la carte de visite du garage. Dans le train, alors que les portes se refermaient, je lui criai : « On s'oublie pas ! » Je m'assis sur un des sièges poussiéreux et le vit par la vitre répéter doucement « On s'oublie pas. » Le train démarra, je le vis s'éloigner doucement avant de disparaître dans le ciel de coton.

Je quittais mon bocal natal. J'hissais les voiles, voguais au gré du vent vers un nouvel océan. Je m'installerai dans un nouveau récif, avec quelques vêtements et quelques pièces. Ce ne sera pas facile, mais qui a dit que la vie l'était ? C'est à partir de rien que je commencerai cette nouvelle vie, ce nouveau bocal que je créerai de mes mains.Bancal il le sera peut-être, mais ce bocal bancal annoncera de belles promesses. 

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Epilogue : Repartir à zéro

Bocal BancalOù les histoires vivent. Découvrez maintenant