Réminiscence

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Je me souviens de la chaleur tendre du soleil sur ma peau douce. Des jeux de lumières sur son visage. Des voix claires mais incompréhensibles qui me parlaient. De son épaule où j'adorais poser ma tête. Du tissu blanc aux fleurs jaunes que je tirais. De ces choses rondes qui volaient, de toutes les couleurs, et qui disparaissaient lorsque je les touchais, pour mon plus grand bonheur. De ces ficelles noires que j'enroulais autour de mes petits doigts. Des leurs qui chatouillaient mon petit ventre, s'agitaient sous mes yeux clairs. De leur émerveillement pour chacun de mes mouvements. De cette texture bizarre qui frottait constamment mes jambes, quelque chose d'un peu bleu, qu'elle m'avait mis mais dont je n'arrivais pas à me débarrasser. Du mouvement lent de sa poitrine contre moi. Du léger souffle sur mes courts cheveux qui suivait le même rythme. Du murmure de la mer constant, à moins que ce ne soit ceux de ma propre mère ? De mon doudou qui épousait la forme de mes mains et qui ne me quittait jamais. Mais qui me quitta cette fois.

Où était-il passé ? Je m'agitais, le cherchant parmi toutes ces formes indissociables les unes des autres. Son visage se rapprocha du mien pour m'apaiser, et avec lui les boucles brunes. J'essayai d'atteindre les fils ondulés, tendant mes petits bras du mieux que je pouvais, mais je ne les contrôlais pas bien. Je les veux !

« Némo ! Némo ? Regarde Papa ! Némo ? »

Qu'était ce bruit ? Je tournai la tête, mais ne vit rien, une tâche beige parmi d'autres ombres floues. Je levai la tête : elle ne me regardait plus. Je saisis enfin une mèche brune qui pendait. Je l'enroulais autour de mon doigt. J'adorais ça. Puis une grande lumière jaillit. Qu'est-ce qu'il se passe ? Qu'est-ce que c'était ? Mon sursaut fut tel que la boucle m'échappa. Je me sentis trembler, mes joues et mes yeux s'humidifièrent et je criai. Elle passa son pouce sur mes larmes et m'apaisa. Les tâches colorées autour de moi revenaient peu à peu et bougeaient lentement sous mes yeux. Ses bras m'enveloppèrent.

« Personne ne regarde l'objectif...

- Ca ne fait rien, elle est adorable comme ça cette photo. »

******

Je me souviens des grands bruits qui perturbèrent mon sommeil profond. Des sons que je n'avais encore jamais entendus. J'ouvris doucement les paupières mais rien n'apparut. Pas de tâches, ni d'ombre, ni de lumière. Rien. Je serrai mon doudou. Je reconnaissais certains aspects de ce que j'entendais, mais tout était plus fort, plus rapide, plus violent. J'avais peur, si peur qu'aucun son n'osait sortir de ma fine bouche. Qu'étaient ces créatures ? Papa ? Maman ? Je crus reconnaître leur voix parmi les bruits de fracas.

« Pourquoi tu ne me l'as pas dit ?!

- Je savais très bien que tu n'allais pas en vouloir !

- Réfléchis... On n'est pas riche, tu le sais ça ? On n'est toujours pas sorti de notre misère avec l'arrivée du premier que tu m'annonces l'arrivée d'un deuxième ?! Si on le garde, on coulera !

- Mais c'est notre enfant ! Il mérite tout autant que Némo de découvrir le monde !

- Il grandira dans un monde miséreux si on fait ça...

- Tu ne sais pas ce que c'est ! Pour toi... tant qu'il n'est pas là, il ne vit pas. Mais moi je le porte cet enfant, je sens son cœur battre en moi, je sais qu'il vit, qu'il meurt d'envie de voir la lumière. Je sais qu'il est vivant, je le sens, et on n'a pas le droit de décider pour lui de son avenir !

- Arrête, il n'est conscient de rien...

- Lui peut-être pas, mais moi si. Par contre toi tu n'as pas l'air de l'être !

- C'est toi l'inconsciente dans cette histoire ! »

Ils ne parlaient pas comme d'habitude. De leurs voix se dégageait quelque chose que je n'aimais pas. J'entendis un grincement et le bruit des ténèbres pénétrer dans la maison.

« J'en ai assez. Tu choisis. Tu l'acceptes, ou je pars.

- Attends ! Tu-tu... »

Un crissement venu de dehors, un bruit sourd, un cri, un moteur qui s'éloigne, puis le silence.

******

La lumière du jour avait fait réapparaître les couleurs floues autour de moi. Mais le silence demeurait, et j'avais très faim, je n'avais jamais eu aussi fin. Alors que je pleurais depuis une éternité, et que la nuit revenait, j'entendis des pas accourir. Enfin ! Je vis une silhouette se précipiter dans ma chambre. Papa ? Il m'enveloppa rapidement dans un drap noir, et cacha mon visage contre lui. Malgré la pénombre, je sentais son mouvement rapide et le froid extérieur me saisir. Mais, j'ai faim ! Qu'est-ce que tu fais ? Je criais, mais il ne semblait pas me comprendre puisqu'il me répondait à peine, la respiration démesurée. Il s'assit, un claquement retenti dans mon oreille, ce qui me fit sursauter et pleurer davantage. Il sortit de son sac à bandoulière noir mon biberon. Je l'engloutis, puis il me déposa à côté de lui. Un vrombissement surgit, et des lumières jaunes défilèrent sur le plafond.

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Suite : Poisson rouge

Bocal BancalOù les histoires vivent. Découvrez maintenant