Plongeon dans l'inconnu 2

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Le moment était parfait : nous nous retrouvions après des années d'absence, nous débordions de joie, et le spectacle que la nature nous offrait était splendide. La douce lumière du matin illuminait son visage ainsi que ses petites tâches de rousseurs parsemées sur son nez et ses pommettes. L'éblouissement qu'elle ressentait à cet instant se projetait dans ses yeux, pétillants de bonheur et d'admiration.

Je pris une grande inspiration et posa ma main sur la sienne. Elle sursauta et se tourna vers ma main. Elle me regarda d'une façon avec laquelle elle ne m'avait encore jamais regardée. Je ne savais quoi tirer de son regard, alors je plongeai quand même, redoutant que la situation ne se reproduise pas. Je fermai les yeux et m'approchai de ses lèvres. Lorsque je les touchai, je sentis son souffle s'arrêter un instant sous la surprise. Ses lèvres étaient légèrement salées. Mais cette expérience fut d'un court instant, car elle se retira et regarda ailleurs, me laissant en suspens. Tout s'était passé si vite, j'étais perturbé par ce qu'il venait de nous arriver. Avais-je fait le bon choix en suivant mon intuition ? J'en doutais désormais, son comportement était si imprévisible. Elle s'excusa d'une voix tremblante, sans oser me regarder :

« Je-je suis désolée, Némo... »

Je me mordais la lèvre. J'avais merdé, Coton avait raison : elle ne le voulait pas. Je jetai un œil en direction de Gary. Il m'avait vu : il me faisait des signes d'encouragements ; il n'avait sans doute pas compris que la situation n'était pas aussi réjouissante. Je n'allais pas laisser le silence rendre cette conversation encore plus embarrassante alors je répondis simplement tout bas, d'une voix presque inaudible :

« Ca ne fait rien.

- Je suis désolée, vraiment, je t'adore tu sais. Mais avec la distance...

- Ca ne fait rien, je te dis, l'interrompais-je, presque froidement, déçu. »

Nous n'osions plus nous regarder dans les yeux, gênés. J'avais gâché nos retrouvailles et m'en voulais terriblement. Cela faisait deux années, deux putains d'années que j'attendais ce jour et j'avais tout fichu en l'air. Le lever du soleil faisait un bon prétexte pour regarder ailleurs.

« On ne peut pas, tu comprends ? relança Dory.

- Dory, s'il te plaît, arrête... (de remuer le couteau dans la plaie, continuai-je dans ma tête).

- Je suis désolée, t'as fait tout ce chemin pour moi mais... tu sais, en deux ans, on rencontre des gens et... continua-t-elle, hésitante. »

J'aurais dû y penser, à ça. Le non-vécu offrait beaucoup de possibilités, et je n'avais même pas pensé à celle-là. Elle avait rencontré quelqu'un. Et moi je faisais quoi ? Je fonçais tête baissé sans rien savoir de ce qui lui était arrivé en deux ans, hormis la disparition de son appareil dentaire et de sa longue chevelure.

« Et il s'appelle comment ? la coupai-je.

- Pearl. Elle s'appelle Pearl... répondit-elle, gênée. »

Devais-je être heureux pour elle, ou triste pour moi ? Mes sentiments chancelaient. Je n'avais donc aucune chance, son attirance n'étant pas envers mon genre. Pour détendre l'atmosphère, je commentai :

« Toi non plus tu n'as pas tellement changée.

- Qu'est-ce qui te fait dire ça ? répondit-elle, se prenant au jeu.

- Tu es toujours aussi imprévisible ! »

Elle rit. L'ambiance se faisait moins pesante, et tant mieux. J'appelai Gary pour la lui présenter. Il s'avança et lui tendit la main. Elle la serra, tout en me regardant, et me fit un clin d'œil. Le serrage de main était symbolique pour nous, mais que pour nous, et ça, on avait tendance à l'oublier : ce qui expliquait l'expression d'incompréhension de Gary à cet instant.

Gary et Dory s'entendaient bien et j'en étais ravi. Nous discutâmes et rîmes jusqu'à ce que le soleil soit à son zénith. La plage se remplissait de monde autour de nous sans que nous n'y prenions la moindre attention. La seule chose à laquelle nous portions de l'attention, c'était le discours interminable de Gary sur l'immensité interstellaire, ou le monologue empli de passion de Dory sur le monde sous-marin. Soudain, une voix criant de l'autre côté de la plage nous interrompit :

« Dory ?! Qu'est-ce que tu fabriques ?! Je t'ai cherchée partout ! »

Lorsqu'elle trouva d'où venait la voix, son visage s'illumina. Elle se leva précipitamment et la rejoint. Alors que je peinais à discerner la personne qui l'avait appelée, le geste que fit Dory me sauta aux yeux : elle lui prit la main. Elle revint vers nous, accompagnée cette fois et déclara :

« Pearl, voici Némo et Gary. Les garçons, je vous présente Pearl.

- Enchantée ! répondit la nouvelle venue. »

Pearl avait la voix chevrotante. Peut-être était-elle intimidée ? Pearl avait un visage rond, quelques mèches blondes et bouclées s'échappaient de son chignon lâche. Ses yeux étaient bleus, comme ceux de Dory mais plus clairs. Ses lèvres pulpeuses s'écartèrent et firent apparaître une dentition presque parfaite, à l'exception de dents du bonheur. Ensembles elles étaient rayonnantes. Et cela me brisait.

Je me sentis mal à l'aise. L'impression de ne pas être à ma place m'assaillait. Gary ressentit mon malaise et proposa :

« On devrait y aller, non ? Rentrer sera long, à pieds.

- Vraiment ? Némo, Gary, vous allez pas partir si vite ! s'emporta Dory.

- Il a raison, répondis-je d'un ton neutre, cachant mes émotions. On ferait mieux de partir maintenant... Mais avant, j'ai quelque chose pour toi. »

J'ouvris mon sac et sortis le poisson clown qu'elle m'avait laissé. J'allais tenir la promesse que je m'étais faite. Dory la prit délicatement, comme s'il s'agissait de l'objet le plus précieux au monde. Son visage arbora un triste sourire, l'océan de ses yeux menaçant de déborder. Elle se blottit dans mes bras et pleura. Elle murmura dans mon oreille d'une voix tremblotante :

« Je-je suis désolée de t'infliger ça, Némo... Promets-moi que tu reviendras ?..

- Je reviendrai, je te le promets.

- Tu tiens mieux tes promesses que moi, ajouta-t-elle, mélancolique. »

Elle se détacha de mes bras et prit un vieux morceau de papier tâché dans sa poche. Je lui donnai un stylo, et elle y écrivit son adresse. Avant de me le donner, elle finit :

« Comme les adultes. »

Elle reprit la main de Pearl et me sourit. Nous devions partir. Je gardais précieusement son papier avec moi : je ne voulais pas perdre son bocal. Avant que je ne sois trop loin pour l'entendre, Dory me cria :

« J'attends ta lettre ! »

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Suite : Poisson lune

Bocal BancalOù les histoires vivent. Découvrez maintenant