III

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Alors que je me mets sur la pointe des pieds et que je tends les bras pour atteindre le café tout en haut de l'armoire, mon t-shirt me tombe sur l'épaule gauche. Apollon (bah oui, je ne connais toujours pas son prénom) m'interpelle :

- Il est sympa ton tatouage. A première vue, je ne pensais pas que tu étais le genre de fille à te faire tatouer.

Généralement, je n'aime pas parler de sa signification, et aujourd'hui, j'ai encore moins envie d'y penser. Mais ça me vexe qu'il pense ça de moi. Oui je n'ai peut-être pas le profil de la fille tatouée que l'on imagine d'habitude, mais j'ai toujours eu envie de me faire tatouer. Alors à mes dix-huit ans, je m'en suis fait un. Ensuite, j'ai décidé de m'en faire d'autres qui symbolisaient différentes époques de ma vie. Point barre.

- Ah bah tu vois. On peut parfois être étonné sur les personnes que l'on rencontre.

- Je ne voulais pas te vexer. Juste qu'à première vue, tu as plutôt l'air d'être le genre de fille  «première de la classe» avec tes lunettes et ton t-shirt recouvert de petites pastèques pour sortir en ville avec tes copines.

Je sens une pointe de moquerie dans sa voix. Je ne peux m'empêcher de répondre du tac au tac.

- Déjà d'une, je ne suis pas du première de la classe. De deux, j'aime cette blouse c'est un cadeau de... Je m'arrête net dans ma phrase. Je ne veux pas m'engager sur cette voie. C'est bon laisse tomber. J'aime cette blouse, et si ça ne te plait pas, tu peux aller prendre ton café ailleurs.

- Wow miss perfection, on va se calmer tout de suite. Ne le prend pas comme ça, je suis parfois un peu arrogant (Ah bon, parfois ?). Au fait, tu fais quoi comme études ? Tu as dit que tu as des cours d'art. 

- J'étudie l'Histoire de l'art et l'archéologie. Je suis en deuxième année. Et toi ?

- Oh. ça doit être passionnant, même si c'est étonnant comme choix d'études.

- Je sais. Je sais. Mais étudier l'archéologie ne se limite pas à jouer les Indiana Jones toute l'année. On fait d'autres choses aussi. Et toi alors ? Tu fais quoi comme études?

- J'étudie le droit. Je n'ai pas vraiment eu le choix, ma mère a décidé pour moi, et pour mes sœurs aussi d'ailleurs.

- C'est ta mère qui a choisi tes études ?

Je me rends compte que j'ai été très froide avec lui, plus froide qu'à mon habitude. C'est peut-être parce qu'il a parlé du tatouage. Je ne sais pas. Maintenant que je vois que j'ai été glaciale, je m'en veux. Je lui fais un petit sourire en coin et je lui tends une tasse de café.

- Tu veux du lait ou du sucre ?

Je me sers également une tasse en attendant sa réponse. Généralement je ne bois pas de café, j'ai cette machine à expresso seulement parce qu'elle était à mes parents et que pour l'instant je ne me suis séparée de rien de ce qui leur appartient. Mais, aujourd'hui, je sens que j'ai besoin d'une bonne dose de caféine pour oublier cette nuit. Enfin la nuit, je l'ai déjà oubliée, mais je voudrais oublier que j'ai oublié. Est-ce que c'est logique?

- Non je le bois noir, merci.

Pendant que nous buvons notre café, un lourd silence s'installe. Aucun de nous deux ne sait quoi dire. J'admets que je suis assez embêtée de me retrouver avec cet inconnu chez moi, dans l'ancienne maison de mes parents. J'ai l'impression qu'ils vont débarquer d'une minute à l'autre dans la cuisine et que je vais me faire hurler dessus. Rien que d'y penser, j'en ai un pincement au cœur. J'en viens à avoir envie de les voir passer la porte et les entendre me crier dessus. Me dire que je suis irresponsable, qu'ils ne m'ont pas éduquée comme ça, que je les déçois. Je donnerais n'importe quoi pour les entendre, même si c'est pour m'engueuler comme jamais ils ne l'ont fait. Je sens les larmes couler le long de mes joues. Je suis tirée de ma rêverie lorsque je sens une main sur ma joue pour essuyer mes larmes.

- Je... Je... Je suis désolée.

Je suis tellement confuse de m'être mise à pleurer comme ça. Dès que je pense à eux, les larmes ne peuvent cesser de couler... Quand est-ce que ça va s'arrêter? Apollon est doux. Il me regarde avec affection, et non pas avec pitié comme la plupart des gens ont l'habitude de le faire face à un élan de sensibilité.

- Ne t'inquiètes pas. Je peux savoir ce qui te rend si malheureuse ?

- Non. Je n'ai pas envie d'en parler dis-je en continuant de sécher mes larmes.

- D'accord. Je peux comprendre. La nuit a été longue, même si on ne se rappelle pas de tout. Je vais te resservir une tasse de café. Va te prendre un bain pour te détendre. Je viendrai t'apporter ton café dans la salle de bain me dit-il alors que je manque de tomber dans les pommes face à ce qu'il vient de me dire.


Comment oublier?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant