Lakeland

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Sir Douglas Roberts était un éminent scientifique d'origine britannique dont les travaux sur la chimie moléculaire étaient un pilier de l'avancée anglaise sur ce domaine dans les années 80. Hélas pour lui, un désaccord avec son employeur, sur une question obscure de morale, dit-on, le conduisit à changer de carrière en devenant professeur dans la Lakeland University.

Sexagénaire, le bonhomme n'avait rien des clichés de vieil enseignant aigri et sévère que l'on retrouve habituellement dans les films. Sir Roberts avait un sens de l'humour latent et une tendance altruiste qui le rendaient très populaire auprès de ses étudiants. Par exemple, comme il se plaisait à l'expliquer, il ne s'est jamais intéressé aux femmes, car, selon lui, il s'agit d'un « mystère scientifique sans précédent que même lui ne pouvait résoudre ».

Il était également très apprécié des autres professeurs de l'université, même du directeur, et avait contre toute attente un dégoût des formalités « trop formelles ». Aussi insistait-il toujours pour que ces étudiants ne l'appellent jamais par son nom de famille et encore moins par « Sir ».

Tout le monde l'appelait donc à juste titre « Professeur Douglas ».

Celui-ci allait d'ailleurs mener son dernier cours magistral de l'année universitaire sur un sujet qui lui tenait particulièrement à cœur.

C'est pourquoi Jeffrey, et Victoria, ne voulaient surtout pas arriver en retard.

À mesure qu'ils forçaient le pas pour arriver dans les temps, Jeffrey se demanda comment il pourrait faire pour éviter une hypoglycémie réactionnelle à chaque injection. Il était tellement perdu dans ses pensées qu'il ne vit pas que quelqu'un arrivait en face de lui dans les couloirs de la faculté.

Il heurta de plein fouet l'étudiante qui en lâcha ses livres.

— Merde, je suis vraiment désolé, j'avais la tête... balbutia Jeffrey alors qu'il s'accroupissait pour ramasser les livres... ailleurs...

Il leva lentement les yeux, intimidé, car il avait compris qui se trouvait en face de lui.

L'odeur de jasmin qui accompagnait chacun de ses pas ne lui avait pas échappé. Les yeux bleus de Jeffrey se plongèrent peu à peu dans le brun de ceux qui lui faisaient face, tels des pierres remarquables dans la beauté du visage féminin. Le blanc de sa peau pourrait, à s'y méprendre, faire croire qu'elle avait gouté au vampirisme, tant il était semblable à la neige de l'hiver froid et glacial du Nord. Il attirait d'autant plus l'attention qu'il était entouré de longs cheveux noirs. Noirs de jais. On ne pouvait pas faire contraste plus parfait.

On ne pouvait plus faire aussi parfaite que Léa Vermont.

Jeffrey se releva doucement, pour regarder en face l'élue de son cœur, celle qui à présent le foudroyait du regard.

— Euh...Je...suis désolé Léa, commença timidement Jeffrey, je ne faisais pas attention, je suis un idiot...

— Sans aucun doute, le coupa sèchement l'intéressée, tu ne te doutes pas à quel point ces livres sont importants pour mon travail. Rends-les-moi s'il te plaît.

Sans attendre, Léa arracha les livres des mains de Jeffrey.

— Merci, j'espère que tu ne m'as pas mise en retard. Rien n'est plus important que l'exposé que je rédige actuellement.

Sans plus de cérémonie, l'étudiante esquiva Jeffrey tout comme Victoria et s'enfonça dans les couloirs qui menaient à la bibliothèque.

— Franchement, je ne vois pas ce que tu lui trouves, osa Victoria une fois qu'elle fut partie, et je ne vois pas pourquoi tu t'écrases comme cela devant elle. Quel poison cette fille...

— Arrête Victoria, tu aurais réagi pareillement si quelqu'un avait abimé tes précieux ouvrages, rétorqua Jeffrey.

— Je ne serais pas cruelle au point de l'enfoncer s'il essayait de se rattraper. Mais bon... Il parait qu'elle n'est pas si méchante si tu n'empiètes pas sur son boulot. En fait elle est un peu comme son père, sur ce point-là du moins.

— Il est vrai que le commissaire Vermont est vraiment à fond dans son boulot, c'est à se demander comment il a pris le temps de faire une fille aussi jolie.

— Je comprends ce que tu ressens Jeffrey, mais Marlow est sur elle aussi et... Comment dire...

— Va au bout de ta pensée, finit Jeffrey, il est plus fort, plus beau c'est ça ? Oui, tu as raison. J'espère juste être plus intéressant que lui.

Jeffrey marqua un temps de pause.

— Au bout du compte, j'espère juste être meilleur que lui.

— On est d'accord. Marlow est une brute épaisse, superficielle, qui ne comprendrait pas qu'avec du cacao en poudre et du lait l'on puisse faire du chocolat chaud.

Cette blague fit sourire Jeffrey.

— Pourrait-on arrêter de parler de Marlow ? Il m'a déjà explosé hier... J'ai un peu les nerfs.

— Ah bon ? Je ne m'en étais pas rendu compte. Tu n'as même pas un hématome, c'est étrange.

— Sans doute, je suis quelqu'un de coriace aussi, mine de rien, haha. Mais dis-moi, je pense que nous étions déjà en retard avant même cet incident...

— Ho mince oui, le cours ! cria Victoria.

Ils se mirent alors à courir dans les couloirs de l'université, dans une folle et comique cavalcade où les plus observateurs purent noter que Victoria portait des talons aiguilles. Après moult et maintes acrobaties, ils arrivèrent enfin dans l'aile où se trouvait la salle du professeur Douglas.

Celui-ci les attendait devant la porte, arborant un costume cravate ainsi qu'un magnifique sourire.

— Ha, mes deux retardataires préférés, je vous attendais.

Il pointa de sa canne l'intérieur de la pièce.

— Je vous en prie, entrez-donc, nous allions commencer, et, Victoria ma chère, puis-je me permettre de vous dire qu'en dépit de votre gout vestimentaire flagrant, vos chaussures ne sont pas adaptées pour la course à pied ?

Sens de l'humour courtois très « British » sans nul doute.

L'amphithéâtre n'était qu'à moitié rempli. Les vieux bancs qui avaient vu passer des générations d'élèves et d'étudiants avides de connaissances n'étaient plus que monuments croulants, ode au passé prestigieux de Lakeland et de la désinvolture dont Marlow Senior était la cause.

Une fois que Jeffrey et Victoria furent installés, le professeur Douglas se présenta sur le pupitre et commença son cours magistral.

— Bonjour à tous, et merci d'être venus, hum...nombreux, déclara-t-il. Comme vous le savez, aujourd'hui est la date de mon dernier cours à la Lakeland University, et comme vous le savez aussi, c'est le cœur lourd que je m'en vais vers ma retraite bien méritée.

L'assistance éclata d'un rire généralisée et sonore.

— Vous m'en avez fait voir de toutes les couleurs je l'admets, mais je vais vous manquer, soyez en sûrs!

L'hilarité reprit de plus belle. Décidément, le professeur Douglas savait maintenir son auditoire à l'écoute.

— J'aimerais néanmoins profiter de cette dernière heure pour vous inculquer un principe qui me tient particulièrement à cœur et que, j'espère, vous allez suivre pendant toutes vos années de recherches.

Un silence pesant s'installa dans la salle.

— Aujourd'hui, je vais vous parler de l'éthique.

Le Vœu d'être meilleurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant