Quelque part dans l'Alberta, Canada, Avril 2019.
Une douceur réconfortante émanait du feu de camp, reflétée par le cercle embrasé qui formait autour des voyageurs une zone de protection chaleureuse. Malgré le mois printanier, les températures fraîches qui subsistaient au septentrion du continent américain pouvaient s'avérer glaciales dès la nuit tombée. La lumière orangée chassait la pénombre du crépuscule pour baigner l'atmosphère d'une ambiance apaisante. Une légère brise soufflait parmi les feuillages clairsemés et maladifs, elle faisait danser les flammes dans une valse étrange mais magnifique en même temps. Le sol humide, recouvert de mousse et de terre meuble semblait presque un matelas naturel.
Malgré cela, Marcus ne parvenait pas à s'endormir. Adossé à un arbre, il était assailli par les souvenirs néfastes de ce qui pouvait arriver la nuit. Les branchages acérés recouverts de sang, les créatures mutées carnassières. Une nausée tenace achevait de le plonger dans un malaise persistant. Le méta-humain se tortillait dans l'espoir d'arrêter de seulement somnoler, de trouver une position adéquate pour enfin s'endormir. Des jours durant ils avaient marché, longé la rivière, parcouru le terrain rocailleux du nord de l'Alberta. Ils s'étaient rapprochés de Fort McMurray, l'étape était proche. Marcus attrapa sa gourde remplie d'eau de pluie et de rosée, en prit une rasade avant de la reboucher d'une main tremblante. Alors qu'il s'efforçait à nouveau de se reposer, il aperçut Smith franchir le cercle de feu, du bois,à la main.
Telle une porte entrouverte, son arrivée fit entrer un courant d'air frais qui glaça un instant la pièce sans mur, plafond ni fenêtre. Le mutant s'installa de l'autre côté du brasier. La lueur pleine de vie lui donnait presque un teint humain. D'un geste nonchalant, il jeta les quelques branches qu'il avait pu cueillir et s'attela à se délasser.
— Tu ne dors pas, le méta ? dit-il.
— Non, je n'y arrive pas, répondit Marcus, d'autant plus en te sachant dehors.
— Tu tiens à moi maintenant ? Ça fait des jours qu'on progresse ensemble et tu n'as quasiment pas dit un mot.
— Ne te méprend pas, lança le méta-humain, j'avais sans doute peur que tu m'aies abandonné pour tenter ta chance seul.
— Tu ne me fais toujours pas assez confiance, n'est-ce-pas ? fit-il d'un ton apathique.
— Je sais ce que les gens comme vous ont envie de faire aux gens comme moi.
— Mais tu ne sais pas écouter ! clama le maître-chien, je t'ai dit que nous avons besoin l'un de l'autre pour arriver à Fort McMurray !
Marcus se renfrogna, il n'avait pas envie de trop quitter Smith des yeux. Les contes de Digger continuait de se rappeler à son esprit fatigué. Mais il se devait d'admettre qu'il avait raison.
— Et je n'ai jamais mangé d'autres êtres humains, si ça peut te rassurer...maugréa Smith.
— OK, très bien, je n'en jette plus, Smith, capitula Marcus.
Le mutant rajouta du bois dans le brasier, et se mit à contrôler l'état de la barrière enflammée qui se dressait autour d'eux. Une fois sa tâche terminée, il s'assit en tailleur à côté du feu. Le méta-humain s'efforça de ne pas le regarder.
— Pour ce que ça vaut, je suis désolé pour ton ami.
Le ton sembla sincère à Marcus. Pourtant il ne répondit pas. Son regard fut absorbé par la valse endiablée des flammes alors que la nausée monta à nouveau. N'y tenant plus, il se tourna sur le côté et dégobilla le contenu de son estomac.
— J'en peux plus... articula-t-il en toussant.
— C'est l'eau de l'Athabasca que tu as bue, expliqua Smith. Elle est toxique, ça aussi je te l'ai dit. Mais si ton corps l'évacue c'est bon signe.
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Le Vœu d'être meilleur
Science FictionTout le monde a un jour voulu être meilleur, passer outre ses défauts et devenir quelqu'un d'exceptionnel. Jeffrey Slart est de ceux-là. Constamment brimé pour son manque de physique et de beauté, il en a nourri la volonté de s'élever. Pourquoi pas...