Quand vient la nuit...

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« Faire une balade nocturne »

Expression clanique signifiant « se suicider ».

***

Quelque part dans l'Alberta, Canada, avril 2019.

Le soleil commençait sa lente descente vers l'horizon et tintait le ciel d'une couleur orangée et violette. Les derniers rayons fluctuants baignaient la cime des arbres dans une lueur chatoyante, éclipsant leur mystérieuse altération. Mais si l'approche de la nuit pouvait signifier la venue du calme chez les habitants des cités du sud, il en était tout autre au sein des terres nordiques. Tous les êtres que le jour méprisait sortaient de leurs tanières pour trouver leur nourriture, et ceux qui les chassaient finirent par faire de même. L'Homme n'avait jamais été adapté à la vie nocturne par rapport à d'autres animaux, et homo mutans ne faisait pas exception. De chasseur, il devenait chassé. Si cet aspect de la vie dans les territoires boréals étaient désormais ancré dans l'esprit de chacun des membres des clans, il demeurait nimbé de brume pour les habitants retranchés des terres civilisées.

Après son lent et périlleux détour occasionné par les falaises rencontrées plus tôt dans la journée, Marcus avait repris son périple. Craignant un manque d'eau, il avait sorti son compteur Geïger afin d'examiner le lac artificiel. Comme il le redoutait, les étendues aqueuses récentes et éparses étaient impropres à la consommation, bien trop irradiées pour permettre toute vie. Aussi ne s'attarda-t-il pas et continua sa progression vers le nord du territoire de l'Alberta, où sa carte lui indiquait les points d'eaux véritables, qu'il espérait plus épargnés par la contamination.

Le méta-humain parvint jusqu'à la lisière des arbres jaunis qu'il avait aperçus du haut de la falaise, et bientôt, il arriva au bord d'un autre précipice.

Marcus jura. Il savait que le Canada avait un relief loin d'être plat mais de telles difficultés accumulées à sa méconnaissance du terrain n'allaient faire que le ralentir. Le gouffre béant de pierres blanches ne s'était pas comblé naturellement par de l'eau à la différence des lacs irradiés. Le jeune homme crut presque à une falaise naturelle qui avait échappé à sa vue, mais une rapide lecture de sa carte l'informa que non. Encore un obstacle imprévu qui allait pourtant donner une bonne longueur d'avance aux mutants qui, eux, étaient au fait de sa présence.

Soudain, une lumière discrète, presque perdue dans la lueur du crépuscule, attira son attention. Les yeux de Marcus s'illuminèrent d'un espoir renouvelé. Un feu. Oui, il s'agissait bien d'un feu ! Le méta-humain chercha frénétiquement sa paire de jumelles dans son sac et se passa la main dans les cheveux, faisant tomber de fines pellicules aussi blanches que la roche du massif. Une fois les verres grossissant en main, Marcus aperçut finalement le campement. Il était lointain, bien trop pour distinguer précisément les guerriers de l'expédition ainsi que leur captive. Mais si les silhouettes précises des mutants et d'Amy demeuraient hors d'atteinte, il put discerner une dizaine d'ombres dont certaines étaient difformes. Pas de doutes, il devait bien s'agir du groupe qu'il suivait à la trace depuis Edmonton. Les clans mutants devaient tourner toute leur énergie vers le sud, ou bien s'atteler à leur survie au sein de leurs terres. Pour quelle raison un groupe de guerriers ferait le trajet opposé ? Si ce n'est pour livrer un colis de la plus haute importance...

Marcus sourit à la pensée que malgré ses détours inopportuns, il n'avait pas tant de retard sur les mutants. Il rangea ses jumelles et s'assit en prenant sa ration du soir. Hors de question de faire du feu lui aussi, cela ne le ferait que le signaler au groupe qu'il suivrait. Aussi décida-t-il de manger tant que le soleil fournissait assez de lumière pour s'en passer.

La forêt crépusculaire ne résonnait pas d'autres bruits que celui d'un timide courant d'air parcourant les épines des conifères ; les sons de fouille du sac à dos et du papier froissé par le méta-humain troublaient parfois cette légère brise, et lorsque cela arrivait, il s'en sentait gêné. Chaque note que Marcus émettait produisait chez lui une impression de malaise. Il ne prononçait pas un mot, n'ouvrant sa bouche que pour la remplir de nourriture somme toute comestible. Seuls sa mastication et son attirail venaient troubler son environnement tel qu'il s'était adapté lors de ces dernières années de torture. Marcus se sentait seul, et surtout, étranger. Plus que tout. Parfois ses sons se confondaient avec ceux des arbres, tant et si bien que les alentours semblaient presque s'être tus.

Le Vœu d'être meilleurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant