Réflexions et regrets

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Jeffrey rentra plus tôt que prévu de ses activités nocturnes. Il n'avait pas le cœur à poursuivre cette nuit. Il mit son manteau noir sur sa chaise, prit l'injecteur non-utilisé et le rangea dans un tiroir. Il nettoya ensuite celui dont il s'était servi—il en emportait toujours deux— le remplit à nouveau à l'aide de son récipient en verre et le fourra dans sa poche.

Il se passa ensuite un peu d'eau sur le visage, la sueur se faisant de plus en plus insupportable. Comment avait-il pu dire cela à Victoria ? D'accord, ses parents à lui n'avaient jamais été très présents non plus, mais ce n'était pas une raison pour sous-estimer l'attachement de son amie aux siens.

Il s'attela ensuite à ranger son laboratoire de fortune ainsi que le stock de composés qu'il lui restait. Il décida d'aller voir Victoria dès demain pour s'excuser et en parler.

Il s'assit dans son fauteuil et posa la situation : soit Marlow avait fait en sorte d'être approuvé, soit effectivement beaucoup de gens n'étaient pas d'accord avec ce qu'il faisait. De toute façon, son passe-temps héroïque avait trouvé ses limites : tant que son identité serait inconnue, la reconnaissance dont il avait tant besoin demeurerait bridée, car non destinée directement à lui. Il fallait que ce jeu cesse, ou il se retrouverait à jouer au chat et à la souris, jeu qu'il perdrait sans nul doute face à un adversaire tel que Derek Marlow. Il espérait juste que cela ne mettrait pas Victoria en danger.

Absorbé par ses réflexions, il prit l'erlenmeyer rempli de mélange orange, et se mit à l'examiner, le tourner dans tous les angles.

C'est ton œuvre.

Ses yeux se perdirent dans cet océan atypique, admirant les flux et reflux du produit contre la paroi. Le liquide semblait avoir un mouvement qui lui était propre, telles des nuances voyageuses de clairs et de foncés.

Tu penses vraiment qu'il faudrait arrêter ?

Il colla ses doigts sur la frontière transparente du verre, tentant vainement de saisir son contenu dans sa paume, sans intermédiaire.

Tu en as besoin, c'est à toi. Que ferais-tu sans ça ?

— Oui, que ferais-je ?

Tout ce dont tu as toujours rêvé, ce pourquoi tu as souffert...

Les larmes lui vinrent aux yeux.

La puissance est là, tu peux faire ce que tu veux. Tu n'as plus besoin de personne.

Jeffrey soupira brutalement et éloigna le récipient de sa vue. Il avait probablement senti que cela lui montait un peu à la tête. Il rangea tout son attirail, et se laissa emporter par le sommeil.

***

— Victoria ? Tu es là ? appela Jeffrey en frappant à la porte, écoute, je sais que la dernière chose dont tu dois avoir envie c'est de me parler, mais je t'en prie, ouvre-moi. Je suis désolé de ce que je t'ai dit, je tiens à te présenter mes excuses !

Aucune réponse ne lui parvint.

Jeffrey jura et repartit en direction du centre-ville. Soit elle n'était vraiment pas là, soit elle faisait la sourde oreille. Dans les deux cas, il l'avait bien cherché. Il fallait qu'il trouve quelque chose pour se divertir et vite. Il fit halte dans une boutique de comics, où il acheta le dernier numéro de The Flash—la dernière série est excellente, si vous voulez mon avis— qu'il entreprit de feuilleter tout en poursuivant sa route. Il fut coupé dans son extase littéraire lorsqu'il entendit une voix qu'il ne connaissait que trop bien.

— Allez ! Tu as sans doute quelques objets de valeur dont tu voudrais bien te débarrasser, n'est-ce pas mon petit ?

Jeffrey se plaqua contre le mur et épia ce qui se tramait dans la rue perpendiculaire.

— Non, j'ai rien à te filer. Fous-moi la paix, tu ne sais pas qui est mon père ! Rétorqua un garçon qui semblait de quelques années plus jeune que Jeffrey.

— Ni toi le mien, renchérit Joseph Marlow.

Ce dernier flanqua un crochet du droit au jeune homme qui s'effondra par terre. Contre une brute de cet acabit, il n'avait de toute façon pas assez de force pour répliquer. Mais Jeffrey oui désormais, même sans son composé.

Lorsqu'il vit cela, Jeffrey sortit de sa cachette et l'apostropha :

— Cela te brancherait de t'en prendre à quelqu'un de ta taille Marlow ?

Celui-ci se retourna et reconnut sans peine son interlocuteur.

— Et qui serait à ma hauteur ici, Slart? Toi? Tu joues les durs maintenant?

— Si tu savais comme je suis fatigué de jouer, répondit-il.

Il se planta entre Marlow et l'adolescent et le regarda droit dans les yeux. Joseph faisait une tête de plus que lui et lui rendait bien quinze kilos.

Peu importe désormais.

Marlow le poussa brutalement contre le mur, ce à quoi il répondit immédiatement par une gifle en pleine face. Quitte à être irrespectueux...

Rouge de colère et d'humiliation, Marlow Jr arma un coup de poing, qui n'arriva jamais à destination. Jeffrey avait enchainé à grande vitesse.

Pour vous resituer, la mâchoire inférieure, ou mandibule, est le seul os de la tête à être articulé, et non soudé, avec le reste du crâne. Cela lui permet entre autres d'accomplir ses fonctions premières que sont la mastication, l'usage de la parole et la respiration par exemple. Cela permet aussi à cette dite articulation d'être sujette à diverses blessures, la plus commune étant la luxation de la mâchoire. Elle est en général provoquée par un choc à grande vitesse, comme un accident de voiture, ou lorsque quelqu'un qui ne vous aime pas vous le signifie en vous collant une droite bien placée à ce niveau. Il en résulte alors une profonde douleur et l'incapacité de parler normalement quelques temps, si tant est que vous ayez quelque chose d'intelligent à dire...

Marlow tomba au sol en se tenant la mâchoire et poussa ce qui pouvait ressembler le plus à un cri de douleur. Ni une, ni deux, Jeffrey aida l'adolescent à se relever et ils filèrent avant de se faire remarquer.

Une fois loin, il prit le temps d'examiner son jeune homme dans le besoin. Il devait être d'environ sept ans son cadet, était plutôt bien vêtu, avait des yeux verts flambants et des cheveux châtain clair... Il haletait suite à sa course improvisée et avait exprimé le besoin de s'arrêter.

— Hé tu vas bien ? se risqua à interroger Jeffrey.

— Ca peut aller...lui répondit timidement son interlocuteur.

— Je vais te raccompagner chez toi, sait-on jamais, Marlow a de nombreuses relations qui seraient très contrariées d'apprendre son revers. Quel est ton nom ?

L'inconnu leva ses yeux verts en direction des siens.

— Marcus... Je m'appelle Marcus Vermont.

Le Vœu d'être meilleurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant