La fille des airs

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Base des forces spéciales américaines, localisation inconnue, juin 2012.

" Papa! On va voler dis? Tu avais promis!" avait imploré Raquel Demanza dès l'âge de six ans. 

Elle se souvenait d'une vaste étendue grise et ensoleillée, totalement plane, sans rien à l'horizon où de multiples appareils s'élevaient ou descendaient. La petite fille tenait la main de son père en cavalant derrière lui, et languissait de sa réponse, même si sa présence ici la rendait rhétorique. 

" Voilà que même ma propre fille me fait monter dans un avion" avait-il répondu en riant. 

Raquel aimait plus que tout se retrouver dans les cieux; engoncée dans un cockpit de métal, élégant, profilé, ne plus sentir la pesanteur qui retenait tout-un-chacun dans les limitations terrestres. Elle s'était émerveillée de toucher de ses doigts la paroi transparente qui la séparait du paradis bleuté parfois tâché de nuages, ou à l'inverse, de contempler les petites maisons, les prés minuscules et les champs miniatures. Plus rien n'avait de prise sur elle, mais elle, avait prise sur tout, comme un immense jouet avec lequel elle pouvait s'amuser à loisir et oublier ses soucis.

Un vaste terrain de jeu entre les mains d'une enfant.

Le désormais général Demanza était sans nul doute un des meilleurs pilotes de sa génération et était révéré tel un héros de guerre par toute l'armée américaine depuis la première guerre du Golfe.  Ses compétences hors du commun, son esprit d'équipe et son désintérêt certain pour les ordres trop formels, lui avaient valu l'admiration de toute la soldatesque. Il était pour ainsi dire né avec un avion entre les mains, passion qu'il avait exercée jusqu'au dernier degré de maitrise absolue, et dont sa fille unique avait visiblement hérité.

Dès qu'il en avait l'occasion, il demandait la permission d'un vol de croisière à la base, chose qui n'était pas trop difficile  à obtenir avec son grade, et emmenait Raquel avec lui. Encore, et encore.

Son père était un héros, un héros qui volait, comme les vrais! Comme aurait-elle pu ne pas vouloir devenir comme lui? Lui qui n'était pas souvent à la maison, qui partait loin, pour se battre contre les méchants. Un concept qui a toute sa place dans l'imagination d'une enfant de six ans.

Alors, dès que Raquel eut grandi, elle suivit la même voie que son géniteur. Grâce aux états de services flamboyants de celui-ci, il fut facile de passer les épreuves de pilotages et de se retrouver aux commandes des plus performants chasseurs supersoniques de l'armée américaine. Son talent forçait l'admiration et d'aucun disait qu'elle était la digne héritière de son père. Et par dessus tout elle pouvait retourner dans le ciel, par elle-même.

Le lieutenant Raquel Demanza s'était faite une place dans le cercle très fermé des meilleurs pilotes de l'élite de l'armée américaine, malgré le fait qu'elle soit une femme d'origine hispanique et que le fait qu'elle ait hérité du même côté "tête brulée" de son parent causait à ses supérieurs plus que quelques migraines. Et elle s'était enfin faite remarquer pour une mission spéciale de la plus haute priorité, en Irak.

Ainsi, la jeune femme avait embarqué à destination de la base secrète des forces spéciales, avec la promesse de piloter "quelque chose d'encore plus grandiose que n'importe quel avion". Comment résister? 

Aujourd'hui était le grand jour. Le jeune femme posa finalement le pied sur le sol de la base après quelques heures de transport. Elle se présentait en uniforme d'un bleu extrêmement foncé, ses longs cheveux noirs de jais noués en chignon impeccable, bien qu'elle en avait horreur. Sa peau mate trahissait bien entendu son appartenance ethnique, ce qui lui valait bien des railleries de la part d'autres officiers jaloux, mais Raquel était plus que capable de faire taire n'importe quelle moquerie, dans le cockpit d'un chasseur, ou même en dehors. Elle n'était pas femme à se laisser marcher sur les pieds. Ses yeux bruns trahissaient toute la fantaisie et la désinvolture dissimulées derrière son grade, elle qui se fichait bien de commander, et qui ne voulait que voler.

Raquel traversa la cour d'un pas décidé, suivant de près l'escorte qui lui avait été assignée à la sortie de l'appareil, sa casquette d'officier fermement vissée sur son crâne. Elle ne fit pas attention aux différents regards qui s'arrêtaient sur son trajet, elle en avait l'habitude. 

Elle se permit uniquement un détour lorsqu'elle entendit une remarque désobligeante, et désarma l'opportun avec un sourire radieux et un clin d'œil. 

— Faisons fi des grades deux secondes mon grand, dit-elle, on se voit à l'entraînement dès que possible, tu auras un entretien privé avec moi.

Puis elle reprit sa marche comme si elle ne s'était jamais arrêtée, laissant son interlocuteur frappé de stupeur.  

Son escorte la laissa finalement devant la porte du bureau du général Carls. Elle frappa sommairement à la porte et entra lorsqu'elle entendit l'autorisation. Raquel Demanza fit claquer ses chaussures l'une contre l'autre dans un mouvement volontairement exagéré et porta sa main au niveau de sa tempe. 

— Lieutenant Demanza, à vos ordres mon général! annonça-t-elle. 

Son regard fut attiré par le soldat—crut-elle—qui, déjà assis, se retourna lors de son arrivée, transperçant ses yeux d'un orange flamboyant. Des lentilles de couleur? Raquel trouva cela étrange, surtout dans un tel corps d'armée.

— Repos, lieutenant Demanza, répondit le général Carls d'un ton formel, asseyez-vous je vous en prie. Je vous présente un de vos compagnons dans cette mission d'importance cruciale, Jeffrey Slart.

Le Slart du Guatemala? Le surhomme? Raquel aborda un sourire en coin alors qu'elle vint s'asseoir en face de Carls. 

Décidément, cette affectation lui plaisait de plus en plus!


Le Vœu d'être meilleurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant