"En tuer un pour en terrifier un millier"
Sun Tzu, L'Art de la Guerre.
***
Juin 2013, base des forces spéciales américaines, localisation inconnue.
Carls sentit son regard se perdre alors qu'il traversait la large vitre de verre, se perdre dans la contemplation de ce qui devait être le fer de lance du projet Apogée, le surhumain le plus fort du monde. Mais là, ses yeux se posèrent sur un être silencieux, affaibli et brisé. Trois épithètes dont elle n'aurait jamais cru affubler Jeffrey Slart. Ce dernier gisait dans son lit de draps blancs, relié à toute une batterie de machines électroniques dont elle ne comprenait rien. Si le colonel Rollder, à son arrivée, ne tarderait pas de mettre en exergue l'aspect financier d'un tel traitement, ainsi que la futilité du projet et de cette mission. Le Congrès croyait presque qu'abandonner l'Irak était la meilleure solution, que c'était avant tout un gouffre monétaire plutôt qu'un charnier. Qu'ils aillent au diable ! Maintenant, elle contemplait un homme immobile et dormant, mais dont l'électrocardiogramme sonore indiquait qu'il était désormais tiré d'affaire.
Un médecin militaire en blouse blanche vint bientôt la rejoindre derrière l'observatoire transparent.
— Il se repose général, les signes vitaux sont normaux, fit-il, anticipant la question qui allait lui être posée. Le Vitium lui a permis une récupération absolument incroyable.
— Parfait, répondit Carls d'un ton ferme, je vais lui laisser un moment avec ses deux équipiers, et dès qu'il sera prêt, je veux le voir dans la salle de briefing.
Le médecin écarquilla les yeux de surprise.
— Général, avec tout le respect que je vous dois, n'est-il pas un peu précipité de...
— Avec tout le respect que vous me devez, c'est moi qui ait une guerre à gagner, coupa-t-elle.
— Je n'en doute pas ! Mais monsieur Slart vient à peine d'émerger du coma ! Il a besoin de repos comme n'importe quel soldat.
— Premièrement, monsieur Slart n'est pas à proprement parler un soldat de l'armée américaine, et deuxièmement, s'il était comme n'importe quel homme, il serait mort et vous le savez.
Si le ton sec et cassant du général Carls pouvait être coutumier à tout affecté de la base, son empathie et le respect qu'elle avait pour ses hommes l'étaient tout autant. Un tel manque d'égard ne lui ressemblait pas.
— Certes, s'inclina le soignant, néanmoins je persiste à dire que...
Le regard que lui lança l'officier le dissuada de continuer, aussi partit-il sans demander son reste. Au moment même où le médecin sortit du bloc médical, rentrèrent deux silhouettes ayant enfin réussi à s'extraire des regards désapprobateurs de leur unité, que le général Carls ne reconnut que trop bien.
Un léger sourire apparut sur son visage fatigué.
***
Jeffrey s'éveillait peu à peu de son trop long sommeil. Ses yeux s'entrouvrirent plusieurs fois sans discerner autre chose que le plafond blanc qui le séparait du reste du monde. Son corps était comme engourdi, il ne ressentait rien de la paume de ses mains à la plante de ses pieds. Ni le confort soyeux de la couverture qui devait sans doute le recouvrir jusqu'au torse, ni aucun souffle d'air. Pas un son ne se faisait perceptible à ses oreilles, il demeurait seul.
Seul et perdu.
Soudain, l'image de la surhumaine lui revint en mémoire. La forme noire et cruelle se mouvait dans son esprit avec la rapidité d'une flamme, et dansait au rythme d'une macabre musique alors qu'elle transperçait encore son dos de ses deux couteaux. Il se revit chuter dans le sable brûlant, échouer à ne serait-ce que toucher son adversaire drapée dans ses atours de ténèbres, s'être fait surclasser en tout point, et subir ses coups qui l'avaient finalement envoyé à terre pour qu'il ne se relève plus.
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Le Vœu d'être meilleur
Science FictionTout le monde a un jour voulu être meilleur, passer outre ses défauts et devenir quelqu'un d'exceptionnel. Jeffrey Slart est de ceux-là. Constamment brimé pour son manque de physique et de beauté, il en a nourri la volonté de s'élever. Pourquoi pas...