Retour au pays

47 10 30
                                    

Avril 2019, Edmonton, Alberta, Canada.

Lorsque Marcus émergea du train, la première chose qu'il sentit fut le fond d'air frais de l'Alberta lui caressant le visage. Il comprit pourquoi il avait choisi de vivre ici, on était bien loin de la sécheresse habituelle du Kansas où il avait passé son enfance, ou de l'humidité résiduelle des abords du lac Michigan et de Lakeland City.

Lakeland... Cette seule pensée annihila instantanément le bien-être relatif dans lequel Marcus se réfugiait. Il se frictionna les épaules alors qu'il descendait les marches de sa voiture. Il ne pouvait s'empêcher de regarder frénétiquement derrière lui, son anxiété le poussant à vérifier qu'il n'avait pas été suivi, cela en dépit du fait qu'on n'empêche pas facilement un homme invisible de passer une frontière. 

Alors qu'il franchit les portes de la gare, il marqua une halte pour contempler la cité, comme si cela faisait des années qu'il l'avait quittée. La ville était logée dans une grande étendue boisée, que les immeubles blessaient à peine pour façonner un toit de vert et de blanc. De multiples monuments fleurissaient épars, ne délaissant aucun quartier, aucune rue, aucun chemin. Les bourgeons s'épanouissaient sur les végétaux et prenaient presque des couleurs d'arc-en-ciel, et les surfaces vitrées des immeubles ne faisaient que renvoyer un reflet magnifique.

Une seule chose gâchait ce spectacle: au loin s'étirait un mur grisâtre et froid, surplombé de récurrents miradors blindés. Ce rempart arrachait Edmonton au monde extérieur et au reste de la forêt, la coinçant dans une bulle oppressante d'un semblant de sécurité. 

Pour l'isoler de la menace venant du nord...

Marcus fronça les sourcils en constatant que l'anneau de béton ne s'était manifestement pas effondré durant son absence, il arpentait les rues encore rayonnantes du soleil qui seul demeurait autorisé à passer. Les gens allaient et venaient en ce printemps tardif, certains le saluaient en le reconnaissant, d'autres se laissaient juste mener par la joie saisonnière. Marcus répondit d'un simple sourire et d'un signe de tête évasif alors qu'il progressait par un des nombreux parcs dont disposait la cité, parmi ceux qui parvenaient à nous faire oublier que l'endroit était l'habitat de l'homme.

Marcus Vermont ne put néanmoins s'empêcher d'aller à la rencontre du shérif de la ville, Digger Jones, une relation de longue date dont il lui tardait de savoir son évolution. Le représentant de la loi était attablé à son stand habituel à cette heure de la journée, alors qu'il recrutait des volontaires pour la garde du soir sur le mur. Celui-ci retira son chapeau marron et usé alors qu'il reconnut le jeune homme et l'accueillit d'un sourire joyeux qui faisait ressortir l'épaisse moustache grise dont il prenait grand soin.

— Je t'ai déjà dit de pas faire ce rictus là, tu fais peur aux enfants! rit Marcus.

— Jeune blanc-bec va! Elle est très bien ma moustache, ma femme me quitterait sur le champ si je la rasais. Comment vas-tu Marcus, ça fait une paie que je t'ai pas vu, où étais-tu?

— Voyage d'affaire, mentit-il, au sud de la frontière.

Le shérif de la cinquantaine lui fit un clin d'œil.

— Je me doute bien que c'est au sud, personne n'a envie de se rendre au nord... Enfin, toujours est-il que tu n'en as pas informé tu-sais-qui! Elle va te passer un savon quand tu vas rentrer. Cela t'arrive de lui dire où tu vas?

— Seulement quand elle me laisse en placer une, soupira Marcus, allez je te laisse Digger, je ne vais pas la faire attendre.

Jones lui accorda une tape amicale sur l'épaule.

— Bonne chance. Si tu es encore vivant, pense à t'enrôler pour le mur. Cela remonte à un bail la dernière fois que tu as bien voulu guetter.

— J'y penserai vieux hibou, allume un cierge pour moi, fit Marcus en lui adressant un signe de main.

Le Vœu d'être meilleurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant