Athabasca

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« La rivière Athabasca s'étend sur près de 1600 kilomètres et a joué un rôle majeur dans l'exploitation du Canada depuis sa colonisation. Elle a représenté une obstacle à l'extension de la civilisation au nord-ouest du pays, tant au niveau des moyens de transports que de la répartition des différents écosystèmes de cette région du monde. Ce cours d'eau présente la particularité de recouvrir des gisements de bitume et de pétrole qui ont fait la prospérité des industries dès le dix-neuvième siècle, malgré la pollution engendrée. Le cataclysme du début de la décennie a entraîné la perte de ces ressources, ce qui a entraîné l'aggravation de la crise socio-économique de la région. Il ne fut pas rare que certaines personnes choisirent de rejoindre les contrées nordiques et leurs habitants, courant sans le savoir à leur perte.

Une seule chose n'a pas changé. Ironiquement, les eaux tumultueuses et empoisonnées de l'Athabasca marquent à nouveau le point de non-retour de la civilisation. »

Extrait de « Traité sur l'évolution socio- économique de l'Alberta » par H.G.Johnson.

***

Le sol argileux et terreux des forêts de l'Alberta avait cédé la place à un tapis de lisses galets blancs. Devant Marcus s'étendait la rivière Athabasca, féroce, éclatante, dangereuse. Ses eaux cristallines se frayaient un chemin tourmenté parmi les roches grisâtres et les reliefs irréguliers. Dans un bruit assourdissant, le torrent déversait sa rage aqueuse jusqu'aux tympans du jeune méta-humain. Traverser la rivière n'était heureusement pas dans ses projets, il allait se contenter de suivre son cours agité jusqu'à apercevoir Fort McMurray. À partir de maintenant, impossible pour lui de se perdre. Cette pensée le rassurait un peu. Le poids allégé du sac dans son dos, par contre, n'avait rien pour le rassurer. L'air humidifié par des milliers de gouttelettes d'eau lui rappelait dans une certaine mesure celui de Lakeland City. Ces odeurs hydriques et minérales l'emplissaient tant de nostalgie que d'une vigueur renouvelée.

Sans plus attendre, Marcus Vermont se mit à longer l'Athabasca en direction de Fort McMurray.

Les heures passèrent, puis les jours. Les réserves de nourriture que Marcus possédaient encore s'amenuisaient, ainsi que son eau potable. Le vent devenait de plus en plus fort et muait les inspirations revigorantes en emprises glacées. Les collines s'espacèrent pour céder la place à de grandes plaines boisées. Un calme naquit peu à peu chez la rivière qui l'avait toujours accompagné dans un monologue rageur auquel il avait tenté de rester sourd. Maintenant que le réquisitoire était devenu babillages, Marcus trouva les environs bien silencieux. Les oiseaux avaient disparu, pas un poisson ne venait troubler l'eau de sa présence.

Après une longue marche sur un terrain caillouteux instable, l'Athabasca susurra à Marcus une pause bien méritée. Le méta-humain s'assit sur une pierre plus grosse que les autres et ouvrit son sac. La soif lui enserrait la gorge comme si une main squelettique essayait de l'étrangler. Il ouvrit sa gourde et prit une rasade d'eau fraîche. Cette gorgée fut bientôt suivie d'une autre, puis d'une autre encore, jusqu'à ce que plus une goutte ne tomba du goulot. Pourtant, Marcus avait encore soif, et même après avoir englouti une de ses dernières rations, il avait encore faim. Mécaniquement, il se dirigea vers les appels clapotants de la rivière avant d'y plonger sa gourde. Son compteur Geiger jeté de son sac par Smith, il n'avait aucun moyen de mesurer la dangerosité de l'eau, mais il n'y pensait déjà plus. L'arrière goût métallique ne le surprit pas.

D'un geste sec, Marcus se défit de son manteau et plongea les zones encore tachées de sang dans la rivière. Il frotta de longues minutes afin de disperser les traces devenues brunâtres par les heures écoulées. Le moindre bruissement venant de la forêt toute proche éveillait chez le méta-humain une paranoïa tenace, une simple caresse d'une brise passagère dans sa nuque n'évoquait que trop la respiration prédatrice qui avait perdu la guerrière des clans. Les auréoles s'estompèrent après d'interminables froissements énergiques. Quelque peu rassuré, Marcus remit son lourd blouson sur ses épaules avant de se remettre en route, le regard vide, guidé par cette rivière ensorceleuse.

Le Vœu d'être meilleurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant