Ethikos

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Lorsque Jeffrey rentra chez lui ce soir-là après avoir raccompagné Victoria, il avait encore en tête les mots que le professeur Douglas avait prononcés.

« L'éthique est, comme je me plais à le définir, la science philosophique de la morale et du bien. Elle doit guider tous vos actes professionnels et, j'irai même jusqu'à dire, vos actes de vie. Elle forme un sentier dont il est dangereux de s'éloigner, vous pourriez perdre bien plus que quelques nuits de sommeil, avait-il dit. »

Jeffrey avait toujours corroboré cette idée. Même aujourd'hui, j'étais certain qu'il s'était toujours persuadé du bien-fondé de ces intentions. Il faisait ça pour prouver quelque chose, aux autres, sans doute, mais à lui-même en premier lieu. Là fut son erreur.

Alors qu'il passait à peine le seuil de son chez-lui, il se mit à incorporer dans son mélange les deux composants que lui avait suggéré Victoria. Il avait passé la journée à calculer les bons dosages, et les résultats théoriques de son test de la veille.

Il avait estimé sa vitesse de pointe à cent-trente kilomètres à l'heure. Soit quatre fois le record du monde de sprint. Sans compter que pour lui ce n'était pas du sprint, il pouvait tenir cette allure beaucoup plus longtemps que quelques secondes. Sa vitesse de cicatrisation avait également augmenté de manière drastique, plus aucune trace de son échauffourée passée. Sa puissance musculaire devait également avoir été décuplée. En tout cas assez pour arracher sa poignée de porte. Et pour l'instant, mis à part le fait de vider toutes ses réserves de sucres, problème en théorie réglé, il n'y avait pas, pour l'instant, le moindre effet secondaire apparent.

Tout cela ne signifiait qu'une seule chose pour Jeffrey : il avait plus que hâte de pratiquer le test suivant. Plus il s'injecterait son mélange, plus son corps s'y habituerait et moins le risque d'effets secondaires serait important. Et plus tôt il déterminerait exactement dans quelles proportions le mélange accroit ses facultés, plus il saurait quels risques il lui est permis de prendre.

Il remplit donc l'équivalent de deux doses d'injecteurs, par précaution, se disait-il. Il prit ensuite un manteau léger, noir, toujours par précaution, se disait-il. On n'est jamais trop prudent. Après avoir pris ses deux injecteurs, ainsi que des barres de chocolats, Jeffrey sortit de chez lui et verrouilla la porte.

La nuit à l'extérieur était différente de celle de la vieille. L'obscure clarté du calme ambiant avait laissé place à une nuit voilée de nuages, où l'on ne voyait aucune lumière pour sauver les âmes du naufrage. Un vent battait fort les volets non attachés et l'humidité portée par le lac Michigan se faisait cruellement sentir malgré le début d'été.

Pas un temps pour sortir de chez soi.

Jeffrey mit les mains dans les poches—il n'avait pas pris de gants— et se dirigea vers la même ruelle déserte de la veille. On ne change pas une équipe qui gagne.

Une fois arrivé, Jeffrey vérifia que personne ne le voyait et mit sa capuche. Il avait eu une idée de l'épreuve qu'il tenterait ce soir. Il leva les yeux en l'air en tentant d'ignorer la fraiche bruine qui saturait l'atmosphère.

" C'est complètement stupide... Mais de grand progrès sont nés d'imprudences, se dit-il. "

Le toit devait se trouver à environ vingt mètres du sol, à vue de nez. Jeffrey se munit d'un stylo-injecteur qu'il appliqua contre sa cuisse. Il prit une profonde inspiration et appuya sur le bouton orange.

La douleur fut à nouveau cinglante, tel un coup de fouet qui lui intimait l'ordre d'avancer. Mais elle n'était pas aussi intense que la première fois, il le sentait. Comme précédemment, elle s'estompa comme elle était venue, tel un servant obéissant à un maître invisible.

Le Vœu d'être meilleurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant