Avril 2019, Edmonton, Alberta, Canada.
Marcus regarda une dernière fois derrière lui. L'aurore naissante commençait à embrasser les sommets réfléchissants des immeubles d'Edmonton. La brise y portait les enfants fleurissants de la nature encore intacte. Le jeune homme admira un dernier bref instant le spectacle qui n'avait jamais été complètement sien de la ville canadienne frémissante, attendant avec appréhension le coup de grâce qui allait lui être porté. D'un instant à l'autre, l'offensive mutante pénètrerait dans ces murs, mais cette fois, les citoyens épuisés ne seraient pas là pour la repousser. Au prix de nombreuses vies, dont celle du shérif Jones, les défenseurs avaient gagné suffisamment de temps pour préparer l'évacuation de la cité vers Calgary.
Le garçon eut une pensé soudaine pour Victoria, qui ce matin avait dû trouver le lit vide, la maison déserte et lui-même absent. Il ne se fit pas de soucis en s'imaginant qu'elle ait pu rallier la gare à temps. Non, ce sont plutôt ses derniers mots, qui résonnaient encore dans sa tête, qui le frappèrent avec plus d'ardeur que n'importe quel mutant. Et ce qui le blessait encore plus, c'est qu'elle avait raison sur toute la ligne. Sa propre sœur le lui répétait depuis qu'il était en âge de comprendre. Marcus le trouillard, le peureux, le lâche. Ce cauchemar qui lui revenait sans cesse... Ce don, cette malédiction... Aucun d'eux n'était là par hasard. Peut-être que sa nature profonde était et resterait celle d'un introverti trop peu sûr de lui, mais le fait que même la femme qu'il aime le méprise pour être ainsi était l'étincelle qui avait mis le feu aux poudres.
Instantanément, la comparaison avec Jeffrey Slart se rappela à son subconscient. Son ancien mentor était si affirmé, malgré que, selon Victoria, il n'était pas dans une position si différente de la sienne avant toute cette histoire, si résolu que Marcus se sentit encore moins méritant. C'était ce sentiment d'admiration qui l'avait transporté à travers ce temps jusqu'aux heures sombres qui avaient fait de lui ce qu'il était à présent. Ne subsistait qu'une haine indicible, haine qui poussait le méta-humain à ne pas vouloir croire à la disparition de Jeffrey. Mais encore une fois, sa fiancée avait semé le doute dans son esprit, serait-il à la hauteur? Certainement pas. Et maintenant, les mutants, Edmonton, cette jeune fille... Il ne pouvait pas la laisser mourir elle aussi. Pas comme sa famille, sa sœur, pas comme Digger. Pas cette fois.
Alors durant la nuit, il avait pris son arme, son manteau et son grand sac, et y avait enfourné toutes les affaires lui semblant utiles pour le voyage qui l'attendait. Provisions, lampe-torche, eau, munitions, de quoi faire du feu et dormir à la belle étoile. Puis, Marcus s'effaça de son propre foyer et fit un crochet par la caserne, où, voilé à la vue de tous, il préleva diverses rations militaires et équipement. Ainsi pourvu, il se tenait à présent à la lisière de la zone d'effondrement du rempart. Les rues étaient désertes, les habitations abandonnées, tout le monde était parti vers la station ferroviaire plus au sud de la ville. Tant mieux. Moins de personnes pouvaient le remarquer, mieux se serait.
La brulante clameur grandissante de l'autre côté des gravas le tira de ses réflexions. C'était le signal de son départ. Aussitôt, réprimant une montée d'émotion, le méta-humain obscurcit la lueur rougeoyante de l'aube avec la teinte grise qu'il ne connaissait que trop bien et gravit les monceaux de pierres et de bétons brisés. Arrivé au sommet du monticule, il eut presque le souffle coupé à la vision de la gigantesque armée qui s'était rassemblée sur le seuil d'Edmonton. Les mutants avaient rappelé tous leurs camps de garde et massé une horde encore plus hétéroclite que la précédente, s'étendant presque à perte de vue. Plus que les infirmités et difformités atroces et diverses dont certains étaient affublés, c'étaient surtout des hommes, des femmes, voire des adolescents et enfants venus assouvir une sorte de pèlerinage en participant eux-mêmes à la prise de la cité. Les chefs achevaient d'haranguer leurs suivants pour ce qui allait être l'attaque la moins longue de l'Histoire. Tous partageaient la même envie morbide ou au contraire parfaitement louable d'en finir rapidement.
Marcus disparut et s'écarta de leur passage tandis qu'ils se ruèrent à l'assaut, longeant le mur en évitant soigneusement d'être heurté. Il craignait par dessus que son épais attirail ne devienne pas tout aussi discret que lui. Son don pouvait s'étendre à ses vêtements, à ce qu'il portait directement sur lui, mais pas dans les mains. Il n'avait jamais pu. Mais dans cette cohue, passer inaperçu s'avéra finalement chose aisée.
Une fois le gros de la marée passée, Marcus se glissa sous le couvert des conifères de la forêt. Les racines noueuses des épineux camouflaient étroitement les restes abandonnés des camps mutants. Quelques tentes plus ou moins rustiques, des bivouacs fabriqués sur place et des cendres encore chaudes témoignaient de la récente présence des hommes du nord-continent. La véritable exaltation de l'attaque finale les avait conduit à laisser les camps inoccupés.
Le jeune homme ne se risqua pas à réapparaitre pour le moment. Il traversa le campement en récupérant ça et là quelques fournitures utiles. Le méta-humain remarqua alors une piste partant vers le Nord, à l'opposé de la ville, là où tous les guerriers des clans s'étaient rendus pour la curée. Son sang ne fit qu'un tour: il ne pouvait que s'agir du groupe qui avait emmené Amy. Le cœur brûlant d'une détermination nouvelle, Marcus s'élança à la suite des traces.
Sitôt qu'il fut certain d'avoir franchi les lignes mutantes, il réapparut, levant enfin le voile gris de sa vision. Le jeune homme prit une profonde inspiration alors que son départ se passait à merveilles, à vrai dire, beaucoup mieux qu'il ne l'espérait. Il progressait lentement dans les étendues boisées, gravissant peu à peu la colline qui les surplombait. Au bout de quelques heures, Marcus trouva une roche bienvenue où il put se reposer et prendre les premières rasades rafraichissantes de sa gourde d'eau.
De ce sommet, il contempla une dernière fois l'immensité du sud. Les immeubles d'Edmonton, insérés dans le rempart désormais brisé et gisant, trônaient encore vers le ciel. Quelques épais volutes de fumée s'échappaient de la cité prise, même si Marcus sourit à l'idée de la frustration des clans en découvrant la ville vidée de ses ressources. Au loin, il s'imaginait encore le train des réfugiés filant à vive allure , avec les citoyens canadiens ainsi que Victoria à son bord. Cette pensée le rassura.
Puis, il se tourna vers sa destination, le nord du monde. Ainsi que lui avait appris Digger, ces terres furent frappés d'un poison insidieux et invisible des années auparavant. Les eaux étaient sans doute contaminées, les plantes souillées. Pire, ceux qui s'y mouvaient s'était transformés pour devenir encore plus horribles que de véritables monstres. Si pour l'instant, si proche des territoires encore hospitaliers de la civilisation, rien n'en laissait apercevoir la nature ni les effets; Marcus ne pouvait qu'entrapercevoir les arbres se tordre, le sol se déchirer et le ciel s'obscurcir à mesure que son regard rejoignait l'horizon.
Son cœur s'accéléra, libérant l'adrénaline dans ses veines. Un instant, il pensa à renoncer, il se murmura combien il avait été stupide. Mais il réalisa que, de toute façon, il ne pouvait plus faire machine arrière. Si son instinct le souhaitait plus que tout, son esprit et sa fierté, elles, le poussaient à aller de l'avant.
Marcus remit son sac sur le dos, et son fusil sur sa lanière d'épaule. Il se saisit de sa carte et de sa boussole. La ville la plus proche en direction du Nord était Fort McMurray, une cité secondaire de l'Alberta. S'il en restait quelque chose, les mutants devraient y faire halte pour sans doute s'y approvisionner et s'y reposer. Peut-être pourrait-il même y trouver de quoi se ravitailler dans cet environnement hostile.
Plus de trois cents kilomètres...
Marcus soupira d'un rire sarcastique et dévala l'autre versant de la colline, vers le septentrion. Le méta-humain partit retrouver la jeune fille, et, pourquoi pas, se trouver lui-même.
— Tiens bon Amy, j'arrive!
VOUS LISEZ
Le Vœu d'être meilleur
Fiksi IlmiahTout le monde a un jour voulu être meilleur, passer outre ses défauts et devenir quelqu'un d'exceptionnel. Jeffrey Slart est de ceux-là. Constamment brimé pour son manque de physique et de beauté, il en a nourri la volonté de s'élever. Pourquoi pas...