Ce qu'il reste de l'homme

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« Ils sont ici depuis des années ! Ils ont essayé de s'approprier nos terres, d'évoluer parmi elles. Moi, je suis né ici, ai survécu ici. C'est quelque chose qu'aucun de leurs entraînements ne peut égaler. »

Général Saham.

***

Juillet 2013, base des forces spéciales américaines, localisation inconnue.

De fines bulles commencèrent à naître au fond du récipient de verre, s'élevèrent puis moururent à la surface du liquide orangé. Le Vitium soulevé se tordit de colère pour protester contre la chaleur qui l'oppressait. Jeffrey nota l'ébullition du liquide et arrêta le feu d'une simple rotation de la molette de gaz. La substance s'apaisa aussitôt. Le guerrier entreprit alors de prélever le précieux mélange et d'en remplir plusieurs bidons en plastique. De multiples erlenmeyers, tous remplis, couvraient l'intégralité de la paillasse du laboratoire.

Les effets combinés de l'augmentation vitale de la consommation de Jeffrey en Vitium et de l'effort de guerre toujours grandissant avaient nécessité une élévation de la production du stéroïde à un niveau quasiment industriel. Mais le jeune homme de Lakeland City demeurait le seul à connaître la formule. Cela faisait partie de son arrangement personnel avec l'armée.

Le Vitium était à lui. À lui seul.

Jeffrey attrapa un bidon plus petit que les autres et y inscrivit la seule exception.

« Larkin »

Le concepteur des armures, Alastar Larkin. Jeffrey ne l'avait jamais côtoyé, au mieux, il avait entendu sa voix par l'intermédiaire d'un téléphone dont la ligne devait être cryptée. Un scientifique et ingénieur de génie dont il ignorait tout, sauf sa tâche. De créer des merveilles technologiques destinées à apporter la victoire en Irak, dont celle qui ornait son dos lorsqu'il fut parti au combat. Ça lui avait bien réussi...

De frustration, Jeffrey jeta le conteneur à l'autre bout de la pièce dans un vacarme creux et sonore. Cette soudaine décharge d'adrénaline si coutumière ne dura que le temps d'un souffle alors que le jeune homme s'affala sur la paillasse, des larmes éparses devenues trop rares creusèrent des lits humides sur ses joues. S'il pouvait donner le change auprès de Carls, de Rollder, de Lucius et de Raquel, il ne réussissait pas à s'en convaincre lui-même.

Tout ce qu'il avait entrepris, ce qu'il avait sacrifié depuis des années, ce qu'il avait perdu... Tout cela avait été en vain.

La seule chose qui lui restait, cette envie, cette gloire, ce désir, lui avait été arrachée. Devant elle se trouvait cette forme sombre, terrifiante et mystérieuse, la surhumaine irakienne.

Le simple fait d'y penser réveilla les lames mordantes plantées dans son dos, lui arrachant un gémissement de douleur. Pourquoi souffrait-il ainsi ? Alors que la meurtrissure lancinante et invisible s'en alla comme elle était venue, la tristesse du jeune homme céda la place à une colère indicible, nourrie par le liquide orange qui parcourait ses veines.

D'où venait cette femme ? Comment avait-elle atteint un tel niveau de puissance ? Jeffrey serra les dents en y repensant. Lui avait créé sa supériorité, l'avait recherchée et perfectionnée. Quant à elle, elle aura été conditionnée dès le berceau par les fanatiques au pouvoir qui l'auront convaincue de sa mission sacrée, de sauver le pays au nom d'Allah... Peut-être avait-elle mis au point un équivalent de sa propre formule ?

Cette pensée le fit frisonner une fraction de seconde avant qu'il ne la balaye de son esprit. Il ne pouvait le concevoir. Un soldat fit soudain irruption dans la laboratoire, le tirant de ses rêveries.

Le Vœu d'être meilleurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant