PROLOGUE

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Lola émergea. Elle ouvrit ses yeux encore sous l'emprise latente d'un sommeil fugace, emprunt d'une sensation pâteuse qui embrumait tout son être. Un froid étrange lui rappelait à l'évidence qu'elle ne se trouvait pas dans son lit. Une vaste prairie plongée au cœur de la nuit avait remplacé la sécurité du cocon. Des milliers d'étoiles scintillantes étaient posées sur la toile céleste, clairsemant son manteau de ténèbres. Au milieu des astres, une grosse lune ronde parachevait le tableau, délivrant sa douce lumière lunaire, qui embrasait une brume dansante et terrifiante, ondulant sur un paysage à la ronde fantomatique.

- Où est-ce que je suis ?

Cette question ne cessait de tourner dans sa tête.

Ses pupilles, pour répondre à l'appel des ténèbres, se dilataient, aspiraient la moindre parcelle de lumière. Ses iris bleus disparaissaient sous la conquête implacable de ces étranges disques noirs pour laisser apparaître derrière les épaisses volutes de fumées blanchâtres de ce paysage aux allures spectrales une fière et immense forêt de sapin. Dans cet enchevêtrement de branches et de bois lugubres où l'imagination prenait le pas sur la raison, les peurs ancestrales ressurgissaient.

Plus loin sur sa droite, un pan de colline grimpait à perte de vue. Perchée en son sommet, une église trônait. Lola pouvait deviner à ses pieds les esquisses de maisons perdues au milieu des ombres.

- Où est-ce que je me suis encore retrouvée ?

Elle c'était déjà réveillée dans des endroits insolites. Rêve ou réalité, le doute subsistait.

Fermer les yeux, prendre une inspiration profonde, chercher l'échappatoire enfantine de se retrouver bien au chaud dans son lit, lui étaient revenus comme une vieille habitude oubliée. Suspendue, sur le fil de sa respiration, elle essayait de trouver la porte de salut qui lui permettrait de fuir ce lieu dont l'aura maléfique l'oppressait et la terrifiait. Une sensation sortie du passé l'envahissait. Des millions de fourmis s'insinuant insidieusement dans chacune de ses veines, s'emparant progressivement de ses jambes, centimètres après centimètres, ne laissaient aucun doute. Ses yeux s'embuèrent de larmes de colères et de frustrations. Elle les dirigea vers les cieux.

- Pourquoi, s'écria-t-elle à l'adresse du voile noir de la voute céleste. Je croyais en avoir fini avec tout ça, pourquoi tu me laisse pas tranquille ?

Les questions suspendues au cœur des flots brumeux ne trouvaient pour seul réponse que le silence du vide absolu. La petite blonde sentait son pouls s'accélérer emportée dans un maelstrom implacable, assaillie de toute part. Il lui était à présent impossible de reprendre le contrôle de ses émotions.

Ses jambes se retrouvaient sous l'emprise de cette force étrange envahissante. La gauche mue par sa propre volonté commençait à faire lentement un pas en avant. Lola essayait de toutes ses forces de la retenir, mais le combat était perdu d'avance. Ses jambes entamaient une lente marche forcée en direction de cette lugubre forêt.

Le rythme de balancier inarrêtable accélérait, la faisant dévorer les quelques lieues la séparant de la lisière des grands épineux. Elle ne franchissait pas le mur de ces majestueux conifères sans une légère pointe d'appréhension. En guise de bienvenu, ils dardèrent leurs épines et caressèrent de leurs piquants sa peau diaphane. La peur s'était transformée en angoisse, l'angoisse de découvrir ce qu'il y avait au bout du chemin. Elle croyait en avoir fini avec tout ça depuis longtemps. Alors pourquoi maintenant ?

Entraînée au plus profond des entrailles de la forêt, Lola savait que ça ne s'arrêterait pas. Pas avant qu'elle soit arrivée au bout du chemin. Même si dans un coin de sa tête, il y avait cette pointe de curiosité malsaine qui s'était installée. Les réflexes oubliés reprenaient leurs places. Lola essayait garder un parcours en mémoire, tout du moins une distance. Mais dans ce méli-mélo d'arbres, d'épines et de verdures, impossible de retenir quoi que ce soit. Finalement, ses jambes cessèrent leurs mécaniques avancées. La force qui l'emprisonnait il y a encore quelques secondes, quittait ses jambes, la laissant à nouveau maître d'elle-même. Une légère brise glaciale ballotant les ramures des pins alentour, remontant le long de son échine, laissa un léger frisson éphémère sur son passage.

Le moment était fatidique, elle le savait parfaitement. Un bruit, murmure porté sur les vagues du vent, venait mourir aux creux de ses oreilles. Une respiration, peut-être, à moins que ce ne soit son imagination qui lui joue des tours. Une chape de silence semblait s'être abattue sur les lieux, brisée uniquement par une plainte, presque un râle, qui venait sonner le glas. Puis un choc se fît entendre, suivit d'un second, venant rompre d'interminables secondes. Un martellement au rythme irrégulier prenait place dans l'air.

Il était temps d'aller à l'encontre de son destin. Une dernière inspiration profonde pour happer les fragments de courage qui lui faisait défaut, Lola s'élança, fendant les épars rayons de lune ayant pu se frayer un chemin jusqu'ici. Le paysage s'ouvrait devant elle, sur le théâtre d'une clairière, dont la brume en suspens n'était pas sans rappeler d'illustres scènes de films d'horreurs d'une génération perdu.

A l'autre bout de cette troué au beau milieu des bois de Dieu seul savait où, une silhouette se détachait dans la nuit. La scène qui se jouait devant elle semblait surréaliste. A califourchon sur une femme, un homme vêtu d'une espèce de treillis militaire levait un couteau ensanglanté. Lola voudrait crier, mais les sons restèrent bloqués au fond de sa gorge. L'horreur se peignit sur son beau visage lorsque la lame plongea dans le corps inanimé de la victime. Son cœur s'emballa, elle porta ses mains à sa bouche, pour étouffer le cri qui montait. Comme si quoi qu'elle fasse puisse infléchir le cours des événements. Elle n'avait plus qu'une seule idée en tête, prendre ses jambes à son coup, fuir. Pourtant elle devait faire face.

Il lui fallait encore traverser cette clairière aux allures mystérieuses. Une sensation étrange, l'impression d'être observé l'arrêta. Elle se retourna, sonda les ténèbres de la forêt. Au milieu de l'entrelacs des branches, un visage ondulait sur le fil fantomatique de la brume. La noirceur de ses cheveux semblable aux plumes d'un corbeau contrastait avec la blancheur de sa peau. Aussi invraisemblable que cela lui paraisse, une fillette semblait la regarder fixement de ses grands yeux. Lola n'en revenait pas.

- Merde alors, comment c'est possible, se demanda-t-elle, est-ce que je suis vraiment en train de rêver ?

Ça n'arrivait jamais dans ses rêves, personne ne pouvait la voir. Elle devait en avoir le cœur net. Lola fît alors quelques pas de côté. A sa plus grande stupeur, elle ne put que constater médusée, l'enfant suivait chacun de ses mouvements.

- Comment peut-elle me voir ?

Ce ne serait pas la première fois, qu'elle se réveillait dans un lieu inconnu. Il lui fallait des réponses. Ni une, ni deux, elle s'élança à son encontre, mais à mesure qu'elle s'approchait, la fillette s'éloignait, jusqu'à disparaître au cœur de la nuit, ne laissant derrière elle comme dernier vestige le vide.

- Est-ce que je suis en train de devenir folle ?

Il n'était plus temps de tergiverser. Le martellement incessant montant de la clairière la ramena à l'instant présent, le véritable but de sa venue. Elle partit vers sa destinée, non sans une légère appréhension. Cette petite voix dans sa tête ne cessait de tirer les sonnettes d'alarmes, si ce n'était pas un rêve, elle mettait réellement sa vie en danger. Mais cette part, cette part malsaine qui nous pousse à regarder les horreurs d'un accident de la route par la fenêtre, lui dictait d'aller découvrir l'identité du meurtrier. Son cœur battait la chamade, prêt à s'enfuir au triple-galop. Elle traversa les fantômes et chimères naissant du brouillard et de son imagination débordante.

Le moment arrivait à son paroxysme. A moins d'un mètre du spectacle macabre, elle ne put réprimer un sursaut au moment où l'homme plongea une énième fois dans le corps inanimé de la pauvre femme sa lame carmin. Elle devait encore franchir un dernier pas, pas le choix, malgré la terreur, faire face à l'abomination humaine dans toute sa splendeur. Mais ses jambes refusaient de bouger.

- Allez ma fille, tu peux le faire...

Le mantra semblait tourner en boucle dans sa tête. C'était un peu comme se retrouver en haut d'une falaise, avant de se jeter dans le vide, agrippée de toute part par la peur, comme une vielle habitude qui ne vous lâche pas ; et soudain, sans plus réfléchir, vous vous lanciez sans aucun retour en arrière.

Rien n'aurait pu la préparer à ce qu'elle aller voir. Le monde s'écroulait autour d'elle.


les rêves de LolaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant