CHAPITRE 2

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Lola vivait la plupart du temps cloîtrée entre les quatre murs du manoir, exception faite de son superbe jardin en arrière demeure. Outre le fait d'être hermétique à tout regard indiscret, c'était l'endroit où elle aimait à passer le plus clair de son temps. Les jours de printemps, elle déambulait pendant des heures au milieu du verger, ça lui rappelait les moments passés avec son père à cueillir et à s'occuper des arbres fruitiers. Au détour des senteurs de pomme, de poire, de mandarine et de cerise, l'espace avait été intelligemment aménagé en un dédale labyrinthique convergeant vers un kiosque en fer forgé, qui ne souffrait d'aucune comparaison. C'était une merveille de contemplation. Ces courbes orientales étaient agrémentées de petits cupidons s'agrippant à sa structure. Un treillage finement ciselé et entrelacé prenait place dans les interstices entre les montants et accueillait un lierre sculpté dans le métal, grimpant le long des trames. En son temps, ce chef d'œuvre d'architecture fut la fierté de son père. Elle se rappelait vaguement de cet homme de petite stature, d'une élégance sans pareil, qui avait passé des journées entières à monter l'édifice, mais depuis longtemps elle avait oublié son nom.

En dehors de cette promenade quotidienne, Lola ne mettait jamais le nez hors de sa propriété. Elle faisait tous ses achats via internet, même ses courses. De par son expérience, elle savait pertinemment que ses rêves n'arrivaient jamais par hasard. Généralement, il suffisait d'un simple contact avec une personne liée plus ou moins proche de la victime pour que ce petit bout de femme s'adonne à d'horrible rêve empli de scène de crime pendant des semaines. En l'occurrence, il y avait très peu de personne gravitant autour d'elle et encore moins qui pouvait se targuer de l'avoir touchée ces cinq dernières années.

Il y avait Maria Almeida. D'aussi loin qu'elle se souvienne, cette femme d'origine Portugaise avait toujours travaillé pour sa famille. Elle s'occupait de tout ce qui attrayait aux tâches ménagères, et bien souvent elle se retrouvait en charge de cette fillette aux longs cheveux blonds, aux grands yeux bleus. A la mort de ses parents, il lui avait paru le plus naturellement du monde de la garder à son service, si l'on pouvait dire ainsi. Car elle aimait particulièrement cette femme au grand cœur. Elle remplissait agréablement le vide du manoir par sa joie de vivre, sa simplicité. Elle avait cette capacité étrange à ressentir les choses, savoir quand Lola avait des coups de blues et besoin de réconfort, ou inversement de se retrouver seule. Par-dessus tout, il y avait cet amour inconditionnel qu'elle lui portait, jusque dans le moindre de ses actes. Même pendant ses jours de repos, même après la messe du dimanche, cette femme d'une autre génération ne pouvait s'empêcher de venir lui apporter le déjeuner, lui servant dans son accent atypique des :

- Ah mam'selle Lola, je vous ai apporté un bon Cozido à Portuguesa bien de chez nous, je vous trouve un peu maigre, il faut que vous mangiez.

- Ah mam'selle Lola qu'est-ce que vous feriez si je n'étais pas là, hé bien vous mourriez de faim, je vous le dit.

Les deux femmes mangeaient de bon cœur en échangeant quelques banalités.

Il y avait aussi Claude son jardinier qui venait deux fois la semaine. Les mardis et les vendredis. Un homme d'une cinquantaine d'année qui avait monté sa propre entreprise d'entretien d'espaces verts, avec qui elle avait de simple rapport professionnel.

Son éditeur lui rendait visite de temps à autre pour s'enquérir d'elle. Plus souvent lorsque Lola était en pleine période d'écriture, ce qui n'était pas le cas du moment. Elle aimait particulièrement le faire tourner en bourrique, le contredisant chaque fois sur les conseils littéraires qu'il lui apportait lorsqu'elle était à l'ouvrage. Elle prétextait garder son intégrité artistique à chacun de ses arguments avancés. Pour elle, ce n'était rien d'autre qu'un simple jeu taquin.

Et, il y avait Marc, l'amour qu'elle ne pouvait avoir. C'était son meilleur ami. Son seul véritable ami. C'était la personne sur qui elle pouvait compter le plus au monde. C'était aussi la seule personne sur terre à avoir connaissance du secret de ses rêves. Homme d'honneur aux principes moraux venus d'une autre époque, il avait toujours su garder pour lui son lourd secret. D'ailleurs qui l'aurait cru. Il était maintenant commissaire divisionnaire. Son ascension au cœur de la police n'était pas exempte de l'aide de Lola et de son don particulier.

les rêves de LolaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant