Lola ouvrit ses yeux sur ce paysage aux couleurs pastelles devenu familier. Elle se retrouvait à nouveau au milieu de la nuit entourée par cette brume fantomatique tout droite sortie d'un film d'horreur. Devant elle, se dressait immuable la forêt majestueuse de grand pin. Lugubre. Sombre. Qui semblait lancer des appels, ricanant dans les murmures du vent.
Un voile invisible la transissait d'effroi. Des griffes sorties tout droit de la nuit remontaient le long de son échine, tel un frisson glaçant ses sangs. Jusqu'au plus profond de son âme. Elle ne pouvait réprimer les tremblements incoercibles qui l'envahissaient, engendrés par le froid et la peur. Son esprit cartésien savait d'aventure qu'elle se trouvait au beau milieu d'un rêve. Mais son corps refusait de se plier à toute logique. Il est tellement réel que ses sens s'emmêlaient dans un maelstrom incontrôlable terrassant la raison même. Elle pourrait facilement se laisser aller à la folie passagère, mais elle restait lucide. Après tout, ce n'était pas la première fois qu'elle vivait ce genre d'expérience.
Le temps ne la laissait pas s'abandonner. Elle ressentait les prémisses de cette sensation familière qui envahissait son corps. Le fourmillement s'accentuait, glissant dans ses veines le long de ses jambes. Le temps jouait à présent contre elle. Elle jeta son regard en haut de la butte, sur le hameau qui dominait les lieux. Plus précisément sur l'église. C'était d'ailleurs le seul bâtiment notable digne d'intérêt sur cette colline. Il était temps de faire marcher les techniques élaborées des années auparavant, de mettre en place sa mémoire photographique. Attentivement, elle grava chaque détail dans son esprit pouvant s'avérer d'une importance capitale.
Ses jambes se retrouvèrent sous l'emprise complète de cette force mystérieuse, l'attirant inexorablement vers la forêt. Faisant appel à une volonté farouche, Lola essaya tant bien que mal de ralentir les mouvements de ses jambes. Il lui fallait gagner un peu de temps, un peu d'observations. Inéluctablement, le combat était perdu d'avance. Tel un pantin, marionnette emportée par des fils invisibles, elle entama cette lente mécanique avancée tout droit vers les bois. Fendant les volutes de fumée blanche qui dansaient autour d'elle, elle ne tarda pas à se retrouver à l'orée. Les immenses conifères semblaient se courber à son approche, comme pour lui souhaiter la bienvenue. Pendant son parcours, il lui était impossible de mémoriser ne serait-ce qu'un semblant d'itinéraire. Elle abandonna vite l'idée. De même pour essayer d'évaluer un simili de distance, il y avait trop de paramètres à prendre en compte pour obtenir un résultat même approximatif. Elle aurait pu tenter de compter le nombre de ses pas, mais elle laissa s'envoler cette idée au loin. Seule subsistait une vague direction. Son esprit vagabonda sur les flots informels des vagues de brouillard blafard, elle s'abandonna au gré des formes naissantes et de son imagination débordante. Elle avait presque l'impression, que l'endroit était envahi par une force mystique.
Au bout d'un moment qui semblait avoir trouvé sa place dans les méandres de l'éternité, ses pas s'arrêtèrent aux abords de cette petite clairière. Le martèlement irrégulier faisait son apparition, venant briser le silence de la nuit, fracassant les fondements même de toutes sécurités, pour rappeler que le mal se dressait juste à quelques pas. Suspendue à la croisée des chemins, Lola resta hypnotisée, comme ces plongeurs de la mort au bord de la falaise avant de sauter. Prenant une profonde inspiration avant de s'élancer, elle fut saisie, comme un rappel à l'ordre par ce sentiment étrange d'être observé. D'instinct, la blondinette se retourna, avant de voir son regard se poser au cœur des ténèbres. Et là, apparu l'enfant aux cheveux plume de corbeau, perdue au milieu de ce paysage fantomatique, tournant ses grands yeux noirs fixement sur notre héroïne. Lola n'arrivait toujours pas à concevoir, comment était-il possible qu'elle puisse la voire. Dans ses rêves, elle était plus une sorte de spectre fantomatique, celui qu'on ne voit pas, qu'on n'entend pas. Cela ne faisait qu'accentuer l'ombre du doute sur l'implication de la fillette. Elle devait avoir une importance capitale au sein de cette histoire. Mais qu'elle était son rôle ? Pour le savoir, il fallait absolument qu'elle lui parle. A peine avait-elle fait quelques pas, que la frimousse aux cheveux noirs disparaissait au cœur des ténèbres. Les appels lancés à l'emporte-pièce se noyaient dans les flots brumeux. La résonance du vide reprenait son quotidien.
Il ne servait à rien de se torturer les méninges en de veines questions sans réponse. Il lui fallait agir avant de se réveiller. Le pas décidé, elle pénétra au sein de la clairière, s'avançant en direction de la scène du crime, guidée uniquement par le son incessant du couteau qui plongeait et replongeait inlassablement dans le corps de la victime. Même si elle savait bien que tout cela n'était pas réel, une peur incontrôlable s'empara d'elle, grandissant au rythme du couteau qui cisaillait les chairs de la défunte. Chaque son auparavant insignifiant, devenait maintenant limpide et clair jusqu'à devenir une cacophonie morbide et insoutenable. Le bruit de la lame pénétrant la poitrine et s'enfonçant. Le son des côtes éclatant sous l'impact. Le choc sourd de la garde heurtant la poitrine. Le sifflement limpide du poignard se retirant des chairs comme d'un fourreau. L'explosion de chaque goutte de sang tombant de la lame immaculé. Tous ces sons semblaient amplifiés, et prendre un rythme frénétique. Lola pourrait tourner dingue, si d'aventure elle s'abandonnait. Instinctivement, ni tenant plus, elle se couvrit les oreilles de ses mains fortement appuyées. Son esprit semblait retrouver un calme relatif avec ce silence salvateur, lui permettant de reprendre sa marche, coupée sporadiquement, par les sursauts incoercibles de son corps, rythmés sur ce bras lançant la mort acérée de la pointe de son couteau.
Elle se trouvait juste derrière l'affreuse scène, le cœur battant la chamade. Il ne lui restait plus qu'un dernier effort, un dernier pas sur la gauche à faire pour découvrir enfin le visage de la victime. Elle ressortait d'un blanc laiteux cadavérique. Ses traits étaient assez ronds, ce qui dénotait indubitablement une personne d'un milieu aisé, ou tout du moins quelqu'un qui ne manquait pas de manger à sa faim. Son visage portait les marques naissantes des débuts de rides. Difficile de se prononcer sur son âge, mais selon toute vraisemblance elle devrait avoir dépassé la cinquantaine. Elle avait les cheveux noirs. Sans doute une coloration. Sa coupe est impeccable. L'ensemble de ses vêtements semblait être d'une assez bonne facture. Cela venait confirmer sa première impression d'une femme ne manquant pas de moyen.
Lola sentit cette sensation de vacillement l'assaillant de toute part pour l'emporter hors de ce rêve. Le temps pressait, ne lui laissant que très peu d'observation, il fallait noter le maximum de détail avant de sentir cette ivresse irrésistible l'emporter.
VOUS LISEZ
les rêves de Lola
Mystery / ThrillerLola torturée par ses cauchemars de meurtres décide de s'isoler. Pendant cinq longues années, elle retrouve un semblant de stabilité, avant d'être rattrapée par son passé. Un nouveau rêve surgit, amenant avec lui son lot de mystères et de questions...