CHAPITRE 16

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Lola était de retour dans ce rêve aux couleurs pastelles. En ces terres sous l'emprise de la nuit ténébreuse et des blanches brumes jalonnant le paysage à la ronde. Elle savait bien que tôt ou tard, c'était inévitable, elle était condamnée à revenir ici. Comme une âme en peine qui aurait perdu son chemin. Errante entre les mondes, attachée à des endroits, sans savoir. Même si elle s'y était préparée, elle redoutait cet instant comme on pouvait craindre les évènements funestes poindre le bout de leur nez à l'horizon, annonciateurs de mauvais augure.

Pourquoi si tôt ?

Tout ce qu'elle demandait, c'était seulement un peu de temps. Un peu de temps pour laisser le déroulement de cette enquête suivre son cours. Parfois, il lui semblait que Dieu se jouait d'elle, refusant d'accéder à ses suppliques les plus profondes, ne lui laissant aucune expectative, aucune échappatoire. Il lui arrivait comme en ce moment, de se demander ce qu'elle avait bien pu faire pour mériter ça. Ses idées sombres lui revenaient comme une vieille litanie depuis longtemps oubliée. Marc pensait vraiment que c'était un don, et que grâce à lui, bon nombres de vies avaient été épargnées en mettant sous les verrous ces dangereux psychopathes. C'était peut-être vrai. Allez savoir. Pour sa part, Lola se demandait bien pourquoi elle ne faisait pas des rêves prémonitoires. Ça aurait été beaucoup plus salvateur d'avoir la possibilité, même s'il elle était infime, de sauver ces pauvres gens. Hélas, son don ne marchait pas ainsi. Inconsciemment, elle tournait son regard vers l'église illuminée par les astres de lumière lointain de la voute céleste qui dominait les lieux à la ronde, perchée sur sa colline. Elle ne cessait d'avoir cette intime conviction qu'elle était la clef, qui permettrait de mettre fin à toute cette histoire.

Vaguement perdue dans le flou de ses pensées, Lola attendait, presque comme une délivrance que cette force s'empare d'elle. Le fourmillement familier ne tarda pas à faire son apparition, commençant par mordiller la plante de ses pieds avant de s'immiscer au travers de ses mollets et de s'insinuer subrepticement le long de ses cuisses. Pendant qu'elle faisait son bonhomme de chemin au travers du semblant de plénitude abattu, un bruit au lointain vint déchirer le silence. Un flash embrasa le ciel, suivit du roulement fracassant caractéristique du tonnerre. Lola n'arrivait toujours pas à en croire ses yeux. Le choc l'assaillait et lui vrillait les entrailles pendant que des éclairs tonitruant, s'abattaient sporadiquement au lointain.

Comment cela était-il possible ?

Il ne pouvait y avoir une chose plus immuable que ses rêves. Rien ne changeait jamais dans ses rêves. Elle déambulait au milieu de scènes se déroulant comme un film. Quant à lui, ce rêve n'était décidément pas comme les autres. Que voulaient dire ces éclairs ? Etaient-ils annonciateurs de mauvaises augures ?

Tout à coup, elle n'avait plus envie d'être ici. Lorsque cette force étrange avait fini sa conquête et commençait à l'entrainer vers les bois, vers cet orage. Une envie incontrôlable sonnant toutes les alarmes lui soufflait un vent de panique, lui soufflait de faire demi-tour. Mais c'était impossible.

Intérieurement, la petite blonde dont la mine déconfite fulminait, bouillonnait, et essayait tant bien que mal de réprimer les larmes envahissant ses grands yeux bleus, laissa échapper quelques gouttes glissant le long de ses cils, roulant sur ses joues pour finir leurs courses emportées par la nuit. Inexorablement, elle se rapprochait de la lisière des grands pins noirs emprunts de rictus délirant, débordant de l'ivresse de la happer au cœur de leurs entrailles.

Etait-ce son imagination, ou bien la fièvre qui s'était emparée d'elle ? Les sourires estampillés sur les arbres qui se dressaient devant elle, ombre menaçante dans les ténèbres abyssales de la nuit, se transformait en une image irréelle. Le monde, non le rêve se déformait comme une bulle de bubble-gum mâché frénétiquement entre les dents.

Lola se raccrochait à celui vers qui on tournait nos attentes et nos espoirs dans les moments sombre, l'implorant de son aide miséricordieuse. Qu'est-ce qui était en train d'arriver. Impossible de réprimer d'avantage la peur vibrant au travers de son être. Impossible de trouver la porte de sortie, de se réveiller dans son lit. Impossible de fuir. Elle avait l'impression de perde le contrôle. Si tant est l'avoir eu un jour. Elle avait l'impression de perdre la raison, de glisser un peu plus vers les méandres de la folie.

L'oppression atteignait son paroxysme au moment de pénétrer dans ce semblant de forêt qui ne ressemblait plus à rien. Lola se sentait sur le point de basculer vers cette douce mélancolie de la folie. Serait-elle passagère, amicale, ou plus profonde ? Comme un signe du destin, appel éphémère à reprendre pied avec la réalité. Le rêve reprenait son entière intégrité, la rattachant à un moment de lucidité salvateur. Les éclairs continuaient à s'abattre dans le lointain, illuminant le ciel avec force et fracas. Lola, toujours mue par cette force implacable avançait inexorablement au travers des bribes fantomatiques de volutes de fumées blanches dansant au milieu des arbres, se rapprochant un peu plus du menaçant tonnerre.

Puis soudain, l'univers semblait à nouveau se déformer sur lui-même, arborant une allure hallucinante aux limites du surnaturel. Et ces jambes qui ne cessaient d'avancer, comme si de rien n'était sans plus se soucier de savoir si c'était bien encore sur la terre ferme qu'elle marchait. Ça y était, cette petite blonde torturée semblait avoir basculé au fond de l'abîme. Son esprit avait fini par capituler à ses rêveries. Elle n'espérait plus qu'une chose, ne pas rester coincée indéfiniment dans ce cauchemar ambulant.

Le rêve reprenait finalement son apparence originelle. Son esprit aspirait avidement de grandes bouffées de lucidité, comme un plongeur qui serait resté trop longtemps en bas et qui franchissait enfin la surface salvatrice, lui laissant un goût amère, avec pour unique et seul désir sortir, sortir de ce rêve et se retrouver dans son lit. Une prière tournait en boucle dans son corps tourmenté. La supplique de ne plus revoir le rêve se déformer.

Sans même s'en rendre compte, perdue dans cette folie qui l'accompagnait, ses jambes cessèrent leurs mécaniques avancées. Le temps de reprendre ses esprits, Lola ressentait à nouveau un regard peser sur elle. Et elle était là, la fillette aux cheveux plume de corbeau. La regardant fixement de ses grands yeux tristes. Un étrange silence venait de s'abattre sur les lieux. Les éclairs venaient de cesser de tomber à tout rompre, comme pour sceller ces retrouvailles dans une solennelle sollicitude silencieuse. Lola restait absorbée au cœur de ces yeux noisettes, se raccrochant à ses pupilles, tel un naufragé s'accroche à un morceau de bois dans les tumultes d'une mer houleuse.

Une lueur d'espoir redevenait visible, jusqu'au moment ou un bruit étrange envahit l'atmosphère, et se propagea. On aurait dit une sorte de déchirement d'une feuille de papier assourdissant, envahissant l'espace, chassant les fondements même de toutes logiques. Le rêve semblait être secoué sous l'effet d'un tremblement de terre. Lola pouvait ressentir la peur et l'incompréhension dans les yeux de l'enfant. Et ce son. Ce son prenait une telle ampleur, qu'il lui vrillait les tympans. Simple réflexe, elle plaquait ses mains sur ses oreilles pour atténuer un peu la douleur avant de finir à genoux, imitée par la petite tête brune qui lui faisait face.

Ces deux âmes perdues dans cette tourmente incompréhensible restaient absorbées dans le regard de l'autre, trouvant un peu de force à ne pas être seul à subir cette épreuve. Les cheveux plumes de corbeau détachaient ses yeux de la belle blonde qui lui faisait face pour se poser, vibrant, emplis d'une terreur nouvelle sur la voûte céleste. Lola suivit son regard pour s'apercevoir que le ciel se consumait comme du papier à cigarette. Un trou béant s'agrandissait, dévorant les étoiles. Et là, à la place, au milieu de ce cercle nimbé de flammes, apparaissait une paire d'yeux immense qui semblait avoir jeté son dévolu sur la blonde terrorisée.

S'en était plus qu'elle ne pouvait en supporter. Son esprit vacillait dans une étrange saveur de sensation qui s'entremêlait pour l'emporter.


les rêves de LolaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant