10 : Départ

509 46 42
                                    

Pierre était adossé près de sa fenêtre, ses yeux perdus au loin dans le paysage devant lui. Sa mère, assise sur son lit, les mains croisés et posés sur ses genoux, le regardait.

-      Tu sais que c'est pour ton bien, mon fils. Notre alliance, le renversement du roy pour qu'il y en ait un légitime, dépend de ton mariage avec Hélène Dampierre.

-      Etait-ce une raison pour emprisonner Marie ?

-      Les Dampierre ne doivent pas savoir pour tes épousailles avec cette jeune servante. Notre alliance sera rompue.

-      Et nous nous allierons au roy de France. D'ailleurs je ne comprends point pourquoi nous ne l'avons pas rejoint dans cette guerre ?

-      Il n'est roy que parce que son père l'était. Mais si nous pouvions décider tous ensemble quel roy devrait diriger ce pays, nous nous en porterions mieux.

-      Dieu a choisi Philippe le Quatrième.

-      Dieu n'y est pour rien. S'il te plait Pierre. Oublie cette servante et accomplit ton devoir, supplia Blanche en se levant et s'approchant de lui pour prendre sa main, pense ta famille. Marie n'aura rien. Tu en as ma parole.

-      Votre parole ne vaut rien. Marie est fouettée alors même que nous parlons.

Blanche de Lantagnac se recula, une main sur son ventre, blessée par les mots de son fils aîné. Ne baillant rien, elle ouvrit la porte et s'apprêta à partir lorsqu'elle regarda son fils une dernière fois et lui dit :

-      Tu partiras en guerre avec les Dampierre et j'espère que tu reviendras prestement auprès de nous. Adieu mon fils.

Pierre ne répondit rien et contemplait toujours le paysage espérant apercevoir Marie, même pour quelques secondes. Ce n'est que quelques heures plus tard qu'il s'attabla à son bureau et rédigea une lettre pour celle qu'il aimait. Il ordonna à un serviteur de chercher son frère qui arriva quelques instants suivant.

-      Tu désires me voir mon frère ?

-      En effet. Marie et moi sommes séparés. Père et mère ont appris la nouvelle de nos épousailles. Alors, s'il te plait. Pourras-tu lui porter cette missive après mon départ ?

-      Tu peux compter sur moi Pierre.

Ce dernier se leva et s'avança vers son frère pour lui donner le papier. Après une brève poignée de main, Guillaume lui manda :

-      Quand pars-tu ?

-      Demain. Ils sont en train de discuter avec le comte et la comtesse de Dampierre pour trouver un autre arrangement. Etant déjà époux d'une femme, Dieu interdit l'adultère. Je ne sais comment ils ont pu apprendre ma relation avec Marie. Nous n'étions que cinq dans la forêt. Marie, le moine, la mère de Marie, et nous deux. Je crois que les prêtres, moines et abbés ne peuvent en parler. La mère de Marie est muette.

-      M'accuserais-tu mon frère ? Manda Guillaume, ses yeux s'assombrissant.

-      Non. Mais cela veut dire que quelqu'un nous a suivis. Peut-être le frère de damoiselle Hélène.

-      Je ne sais.

Après quelques instants de réflexion, Guillaume prit congé de son frère et sortit de la chambre, la lettre dans ses mains. Après avoir descendu quelques marches de l'escalier en pierre, il s'arrêta près d'une torche et mit au-dessus des flammes le papier qui prit feu. Il le laissa tomber et continua son chemin, un rictus sur ses lèvres.

Ϩϩϩ

21 juillet 1297

Pierre attacha sa cape sur son armure, aidé de son écuyer. Les yeux fixés sur le mur de pierre, en face de lui, il inspira longuement avant d'expirer. Après un geste de la main et son serviteur écarté, le fils aîné se dirigea vers la porte de sa chambrée pour rejoindre sa famille, les Dampierre et l'armée, qui l'attendaient dehors.
Après une poignée de main à son père et à son frère, il s'arrêta devant sa mère qui le prit dans ses bras. Elle fit le signe de croix sur son front et le baisa au même endroit. Il s'agenouilla ensuite devant l'évêque du comté, qui le bénit et qui demanda à Dieu de l'accompagner dans sa mission. Il monta ensuite sur son cheval, près de Robert de Namur et son père. Les femmes étaient, quant à elles, dans un carrosse. Un signe de la main du comte et la troupe partit au trot, direction la Flandre.
Ils passèrent par le village, sous les acclamations de la population. Pierre cherchait des yeux Marie dans la foule, avant de se souvenir qu'elle croupissait dans les cachots et qu'elle souffrait. A cette pensée, il serra les dents de colère et serra fortement les rennes de son cheval.

-      Que se passe-t-il donc mon cher Pierre ? Un souci ? Manda Robert de Namur, guilleret, profitez donc de ces jouvencelles qui nous acclament. Nous allons combattre des français et à notre retour, nous pourrons conter nos exploits dans les bras de ces jouvencelles qui n'attendent que nous. Sauf si quelqu'un vous attend.

-      Personne ne m'attendra mis à part ma famille.

-      Savez-vous que ma sœur a été déçue de ne pas vous épousailler ? Elle pleurait lorsque nous sommes partis.

-      Vous m'en voyez navré mais...

-      Mais vous n'êtes pas allé la voir pour vous enquérir  de son état.

-      En effet... J'avais d'autres préoccupations. Je pense pouvoir me racheter étant donné que nous allons faire une longue route ensemble.

-      Tout à fait. Nous pourrons aussi vous entraîner pour que vous puissiez pourfendre comme il se doit les français et nos rebelles les Léliarts1 !

-      N'oubliez point que je suis français. Gascon mais aussi français, gronda Pierre les dents serrées.

-      Il  vous faudra choisir entre eux et nous, les flamands.

-      Attendons donc de voir si vous êtes dignes des soldats Lantagnac avant de me demander de choisir, bailla Pierre avec nonchalance.

-      Oseriez-vous prétendre que nous sommes des moins que rien et que vous êtes supérieurs à nous ? S'exclama Robert, prêt à sortir son épée.

-      C'est vous qui le dites. Je n'ai jamais prétendu cela.

-      Vous le pensez sans le dire, avouez-le. Si nous n'étions pas alliés, je vous pourfendrais sur le champ croyez-le bien, menaça le frère d'Hélène. Sachez que pour votre petite paysanne que vous chérissez, oui je suis au courant, j'espère qu'elle souffrira autant que ma sœur a souffert. Je me serais bien occupé d'elle mais nous sommes partis trop tôt.

Pierre arrêta son cheval, et la troupe d'armes en même temps, et fixa son interlocuteur. Les yeux plissés, il déclara d'une voix calme mais ferme :

-      Attention à vous, Robert. Ne jouez pas à des jeux dangereux avec moi. Si vous aviez touché à un cheveu de ma f... de Marie, ou si vous osez la toucher, peu importe l'alliance qui nous unit, elle sera rompu et nous rejoindrons le roy, comme nous devrions le faire, ajouta-t-il plus bas.

Dampierre voulut répondre mais une voix grave se fit entendre :

-      Pourquoi sommes-nous arrêtés bon Dieu ?!

Les deux hommes ne répondirent rien et, après un bref regard assassin l'un envers l'autre, ils redonnèrent le signe du départ. La route jusqu'à l'installation du campement se fit sans un mot. Certains soldats chantaient ou parlaient de la guerre qui allait venir ainsi que de leur mie qui les attendait.
Au même moment, à Castelroc, un soldat poussait une jeune fille sans ménagement hors du château.

-      Et ne reviens plus ici ou tu auras des problèmes !

Marie, car c'était elle, avançait difficilement jusqu'au village pour rentrer chez sa mère. Lorsqu'elle ouvrit la porte, cette dernière se précipita vers elle. Prenant son visage en coupe dans ses mains, Isabelle Castel pleurait.

-      Ça va aller mère, c'est... Pierre est parti pour la guerre.

Et sur ces derniers mots, Marie tomba sur ses genoux, versant toutes les larmes de son corps qu'elle avait.

1 : Léliarts = mouvement appartenant à la grande bourgeoisie ou noblesse flamande, favorable au roy.

Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou mettre en ligne une autre image.
La Revanche de LantagnacOù les histoires vivent. Découvrez maintenant