L'ENDROIT QUI EST CHEZ MOI(juin 844)Erwin Smith

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Je me tiens devant la fenêtre de mon bureau en regardant les soldats s'entraîner de bon matin

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Je me tiens devant la fenêtre de mon bureau en regardant les soldats s'entraîner de bon matin. Il est parmi eux, et a déjà mis un bon nombre de partenaires de lutte à terre. Tant mieux, qu'il se change les idées, il n'y a pas mieux pour oublier.

Sa soudaine obéissance a pris tout le monde par surprise. Hormis Mike et moi, personne ne peut l'expliquer. Et quand bien même, je serais bien en peine de donner une réponse satisfaisante. Je constate simplement qu'il suit les ordres sans rechigner, mais sans grand enthousiasme malgré tout. Il prend tout cela comme une corvée qu'il se doit d'effectuer.

A cause de cette attitude, j'ai hésité à lui remettre ses papiers d'identité. Jouait-il la comédie pour les obtenir et ensuite disparaître dans la nature ? Je me suis posé la question longtemps, jusqu'au jour où l'occasion s'est présenté. Nous nous sommes croisés dans la cour - pour la deuxième fois -, et il s'est arrêté pour me saluer, le poing sur le coeur. C'est un rituel que les soldats se doivent de respecter en présence d'un gradé, mais à vrai dire, peu d'entre eux le savent, et ils sont rarement réprimandés. Une telle marque de respect était inhabituelle chez lui. Mais j'ai eu beau scruter son visage, je n'y ai pas trouvé une réelle volonté de me plaire. Son geste s'est révélé très mécanique. Comme à peu près tout ce qu'il fait depuis notre retour.

Cela ne me plaisait pas trop. J'avais peur à l'idée que tout ceci ait pu tuer son tempérament. Il avait certes un caractère difficile et des manies très... spéciales, mais cela était nécessaire pour entretenir son feu intérieur. J'avais devant moi une flamme docile, mais faible, plus vraiment capable de brûler. J'ai donc pensé que lui octroyer une récompense réveillerait sa fierté et son estime de lui-même.

Je lui ai ordonné de me suivre dans mon bureau, et il m'a suivi sans mot dire. Un fois entrés, j'ai ouvert mon tiroir personnel, fermé à clef, et lui ai tendu ses nouveaux papiers d'identité, en lui annonçant qu'il les avait mérités. Il les a regardés dans ma main et a attendu longtemps avant de les prendre et de les ranger dans sa poche intérieure. Les informations le concernant ne semblaient pas beaucoup l'intéresser. Je me suis gardé de lui expliquer que j'avais dû lui attribuer une date de naissance. Il aurait peut-être mal pris une telle initiative. Mais à vrai dire, un geste ou un mot de colère de sa part m'aurait soulagé.

J'ai serré le poing un moment, en le cachant derrière mon bureau pour qu'il ne le voit pas, puis je me suis lancé. Alors que le silence devenait pesant, je me suis décidé à lui remettre également les documents de ses deux camarades. Ses yeux se sont écarquillés, et il a pris le temps de les examiner attentivement cette fois. Il m'a demandé dans un souffle si j'avais prévu qu'ils reviendraient tous les trois. Bien entendu, lui ai-je répondu. Je vous les aurais remis au retour. Mais comme ils ne sont plus là... j'ai pensé qu'il aurait peut-être aimé les avoir avec lui. De toute façon, ils n'avaient pas d'autre famille proche.

Il a serré les lèvres et fermé les yeux, en pressant les morceaux de papier cartonné contre son coeur. S'il pouvait cesser de retenir sa respiration et le laisser battre à nouveau... Après tout ceci, je me suis demandé si c'était le bon moment pour faire à mon tour ma demande puisque tout le monde s'y était essayé, en vain. Mais cela aurait été mal reçu, et je le pense encore.

Quand Keith a commencé à s'inquiéter que Livaï ne fasse pas encore partie d'une équipe, je l'ai dissuadé de l'assigner d'office. S'il y a bien une chose de vraie dans le monde militaire, c'est qu'il est très difficile de servir sous les ordres d'un chef qu'on apprécie pas. Il faut du respect et de la confiance pour accepter de risquer sa vie sous les ordres de quelqu'un. Sa période d'introspection n'est pas encore terminée, il lui reste des choses à cogiter. Je sais que j'ai l'air de lui octroyer un traitement de faveur, mais il vaut largement ces aménagements.

Je redoute encore ses réactions. Je ne sais pas ce qu'il fera dans les prochains jours. Il ne m'a pas annoncé formellement qu'il intégrait définitivement les rangs du bataillon. Je ne peux pas l'avoir à l'oeil constamment, je demanderai à Mike de le faire pour moi, puisqu'ils logent dans le même baraquement.

J'espère juste ne pas avoir fait une erreur en lui remettant ses papiers...

Les Chroniques de Livaï ~ Tome 2 [+13]Where stories live. Discover now