Faire partie de l'escouade d'élite a considérablement transformé notre quotidien. C'est le regard des autres qui a changé en premier. Le respect et l'admiration qu'on lit sur leurs visages sont assez intimidants. Effrayants aussi. Après tout, nous formons maintenant la première ligne du bataillon, on va attendre beaucoup de nous.
Ensuite, notre emploi du temps est un peu différent de celui des autres explorateurs. Nous voyons bien plus souvent le major, surtout quand nous accompagnons le caporal-chef en réunion. Notre présence n'est pas toujours nécessaire mais il tient à ce que nous prenions nos ordres directement de Smith. Je le soupçonne de ne pas avoir envie de tout nous expliquer lui-même et donc de gagner du temps. Il se contente la plupart du temps d'un "vous avez compris ?" rapide et il passe à autre chose.
Pour avoir discuté avec Hanji Zoe, le caporal-chef n'aime pas vraiment donner des ordres sur tout, alors nous devons pas mal nous auto-gérer. Ils nous a peut-être choisis pour ça aussi, car Gunther et moi on sait se débrouiller dans toutes les situations. En tout cas, il ne se montre pas si tyrannique qu'on avait pu le craindre, mis à part sur la propreté et l'hygiène, où il ne laisse rien passer. Nous avons de temps en temps quelques missions à remplir en ville, apporter un document à celui-ci, rappeler à l'ordre celui-là ; on a même dû assurer la défense d'un convoi militaire qui livrait d'autres canons à Trost. Le caporal-chef est rarement avec nous pour superviser, ça veut dire qu'il nous fait confiance.
Hormis ça, nous avons commencé notre entraînement de groupe et ça marche plutôt bien ; même si Claus fait exprès de se mettre un peu à l'écart de nous. J'ai l'impression qu'il se hausse un peu trop, il veut toujours en faire des tonnes devant le caporal-chef. L'autre jour, c'est à peine s'il nous a laissé un titan de bois à déglinguer. Il est pas condescendant mais il ne cache pas qu'il se sent meilleur que nous. C'est vrai qu'il est bon et à nos yeux, c'est un vétéran, même s'il a notre âge. Mais faudrait pas qu'il pense qu'on va s'aplatir devant lui.
Aujourd'hui, on est en salle de soins afin de se faire masser un peu, et c'est peut-être le moment de mettre cette ambiance de côté. Le caporal-chef est là aussi pour prendre un peu de bon temps, et c'est très agréable de causer de tout et de rien. Il est pas très loquace en général mais il suffit de le lancer sur un sujet qui l'intéresse - il y en a quelques-uns, les livres, le thé, les différentes manières de soumettre un titan - et il est intarissable. Il a vraiment envie de nous transmettre ce qu'il sait, dans le but évident de nous éviter la mort le plus longtemps possible. Il n'occupe plus le dortoir des vétérans - son nouveau grade lui a offert des quartiers privés dans le QGR -, mais il essaie de prendre ses repas avec nous quand il le peut.
Je ne me lasse pas d'écouter ses récits d'expédition. Il a vu et combattu tellement de choses ! Quand c'est douloureux, il s'interrompt brusquement, reste silencieux, et part sur un autre sujet. C'est dans ces moments qu'on se rend compte que ce n'est vraiment qu'un homme comme les autres. Il a l'air froid, dédaigneux et pas aimable, mais j'ai vite compris qu'il en avait dans le coeur. Pourtant quand on sait d'où il vient, il aurait des raisons de détester l'humanité entière...
Gunther et moi on a entendu les rumeurs qui courent sur son passé. Ajoutons à ça les quelques articles de journaux qui parlent de lui, et c'est pas dur de relier les bouts. Il a morflé dès sa naissance, on lui a jamais rien offert dans la vie. Pas étonnant qu'il préfère arborer cette attitude maussade ; c'est quand on le côtoie tous les jours qu'on apprend à voir au-delà.
Je palpe la plante de mes pieds et Gunther me frictionne les épaules en attendant que le masseur vienne s'occuper de moi. Claus a proposé au caporal-chef de le détendre un peu mais il a refusé sèchement. Il aime pas trop qu'on le touche, je crois. C'est pourtant un rituel très agréable, et ça ressert les liens d'amitié entre nous. Les autres régiments se foutent un peu de nous à cause de ça, mais aucun d'entre eux ne sait à quel point ces douleurs peuvent être atroces, ils volent pas assez pour ça.
Le caporal-chef finit d'assouplir ses orteils et commence à enrouler un linge imbibé de lotion apaisante autour de ses chevilles et de ses pieds. C'est un geste qu'il a dû faire des dizaines de fois. Un parfum anisé envahit la pièce et je me sens mieux rien qu'à le humer. Les doigts de Gunther s'attardent particulièrement sur mon dos, où le frottement du harnais dorsal est particulièrement important. Je sais que j'ai déjà des marques, mais beaucoup moins que Claus et le caporal-chef. Bientôt, Gunther et moi nous serons comme eux. Enfin si nous survivons assez pour être à jamais marqués de la sorte.
Gunther me dit que c'est le moment de briser la glace. Qu'est-ce qu'il y a ? Tu n'aimes pas ces silences virils et gênés ? Je me mets à rire. Personne ne semble avoir de sujet de conversation alors je dois en trouver un. Et ce que je viens de dire me donne une idée. Je me tourne vers le caporal-chef, occupé à passer une pommade sur ses épaules et lui demande si nous allons rester quatre. Il répond que le major a ordonné que les escouades soient toutes composées de cinq membres, car c'est plus optimal et il pense qu'il a raison. Mmh, bien, mais... nous sommes quatre. Vous avez quelqu'un d'autre en vue pour compléter l'effectif ?
Je me rends compte que je n'aurais jamais parlé ainsi à un officier supérieur issu d'un autre corps d'armée. Mon ton n'a rien d'insultant mais un subordonné ne peut interroger ainsi son supérieur en temps normal ; même nos instructeurs nous auraient remis à notre place. Mais dans le bataillon, même si on respecte la hiérarchie, on s'embarrasse pas de chichis inutiles. Il y a des procédures à suivre mais sur le terrain, on doit pouvoir communiquer le plus naturellement possible.
Le caporal-chef me dit qu'il n'a pas encore cherché, mais que si nous avons des candidats, il voudra bien les voir. Sans blague ? Euh... et bien, je pensais, en nous voyant tous rassemblés ici, entre "hommes", que... une présence féminine ne serait pas de trop. Une fille dans une équipe, ça permet d'apporter d'autres compétences que nous n'avons peut-être pas. Claus me charrie en prétendant que je me cherche juste une petite copine pour s'occuper de mon petit linge. Eh ! je suis fiancé, un peu de respect !
Plus sérieusement, c'est un truc que j'ai remarqué à l'entraînement. Les filles ont le don d'apaiser les tensions et fonctionnent un peu différemment sur le terrain. Elles ont de bonnes idées et voient des choses qui nous échappent. Elles sont aussi plus rapides en moyenne. Gunther me chuchote qu'il pense savoir à qui je fais allusion, mais à vrai dire je sais pas si elle acceptera. Elle n'a pas eu de très bonnes notes ces derniers jours... mais je suppose que pour faire partie de l'élite, il faut savoir faire autre chose que tuer des titans à tour de bras. Elle a peut-être juste besoin de motivation...
Bah, laissez tomber, il n'y a pas de raison qu'elle soit plus apte qu'une autre. Il y a sans doute des explorateurs meilleurs qu'elle. Le caporal-chef m'ordonne de la lui désigner discrètement la prochaine fois, il vérifiera si elle a le profil. Mais il précise bien qu'il n'a vu personne de remarquable à part nous deux - Claus proteste en se frappant la poitrine d'un air avantageux.
Bon, on dirait que c'est mon tour, je vais me faire dorloter. Pendant que je m'allonge sur la table de massage, je me sens un peu mal de mettre cette pauvre fille dans cette situation. Je voulais pas vraiment attirer l'attention sur elle, et à vrai dire je ne sais pas pourquoi j'ai parlé d'elle. J'aurai même eu tout intérêt à ne pas le faire.
Après tout, c'est la grande soeur de Mariele.
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Les Chroniques de Livaï ~ Tome 2 [+13]
Fanfiction(LISEZ LE TOME 1 AVANT !!) L'histoire de Livaï comme vous ne l'avez jamais lue. Le personnage le plus populaire de L'Attaque des Titans, le soldat le plus fort de l'humanité... Qui est-il vraiment ? Qu'a-t-il dans le coeur ? Qu'est-ce qui a fait de...