INSPECTION DES CADETS(février 845)Mike Zacharias

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Livaï reste immobile quelques instants devant la porte du restaurant dans lequel a disparu Erwin, puis finit par se détourner en soupirant, les mains dans les poches

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Livaï reste immobile quelques instants devant la porte du restaurant dans lequel a disparu Erwin, puis finit par se détourner en soupirant, les mains dans les poches. Je le laisse faire quelques pas seul et le rejoint peu après avant de le perdre dans la circulation. Il semble m'attendre ; il est tourné à demi vers moi, l'air calme, mais je sais que ses sens sont tout entiers concentrés sur ce qui se passe autour de nous, prêts à le faire bondir ou réagir au moindre danger. Il est toujours comme ça, je ne l'ai quasiment jamais vu détendu à l'extérieur.

Cependant, il y a peu de chance que quelque chose arrive ici. Stohess est une réplique presque parfaite de Mitras ; il y a juste un peu moins de palais et de statues. Les brigadiers patrouillent et les honnêtes gens peuvent circuler tranquilles. Cela me rappelle le bon vieux temps... Cela faisait une paye que je n'étais pas venu ici. Je dépasse Livaï à grandes enjambées. Pourquoi on ferait pas un peu de tourisme ? Ca te dit ? Les camps d'entraînement sont au nord. Il approuve et tente de me suivre en gardant la cadence.

Les passants richement habillés nous lancent de drôles de regards - on est pas habitué à voir des explorateurs ici - et les dames se cachent le visage en prenant des airs faussement horrifiés. Faut pas se fier à leur réaction, les femmes de la haute sont beaucoup moins prudes qu'elles ne le laissent paraître, et si j'en crois Erwin et Keith, nombre d'entre elles seraient prêtes à une aventure d'un soir avec l'un de nous, par goût du risque et de la nouveauté. Le bataillon trimballe une odeur de soufre qui excite la curiosité de ces dames si bien mises et au quotidien si morose. Je ne sais pas comment fait Erwin pour supporter de frayer avec ces gens...

Il n'y a que peu de commerces à Stohess, la ville est essentiellement occupée par des habitations huppées. Le pavement y est parfaitement entretenu, la circulation dense mais ordonnée, rien à voir avec Trost ou Shiganshina. On ne voit pas de gamins bruyants ou de vendeurs aux étals branlants. Même les couleurs y sont différentes ; bronze et or dominent dans l'architecture. Les maisons sont toutes alignées en carrés harmonieux et symétriques. Guère de fantaisie dans ce décor mais ça a son charme, et Livaï paraît intéressé par ce dépaysement.

Il me pose des tas de questions même s'il fait en sorte de me faire croire que rien ne l'impressionne. Je ne suis pas un puits de science, d'accord ? Le moindre bâtiment un peu important fait l'objet de ses questions et j'y réponds du mieux possible. Je n'ai pas besoin de lui expliquer que le long bâtiment bas au fond de cette grande place est le quartier général des brigades spéciales ; il lui suffit de regarder les bannières flottant au vent. Oui, c'est ici qu'ils crèchent.

Nous passons devant une gigantesque propriété aux parcs plantés de cyprès derrière de vastes grilles en fer forgé et il me demande qui vit ici. Je ne sais pas, un noble sans doute. Un proche du roi, peut-être. Nombre de courtisans et parlementaires logent à Stohess. C'est aussi confortable que la capitale et plus accessible aux visiteurs. Je te dis pas le nombre de parties fines qui doit se donner derrière ces portes... ou sur ce gazon impeccablement tondu à la nuit tombée...

Livaï s'interroge sur ce qu'est une "partie fine", mais je fais semblant de pas avoir entendu et hâte le pas. Après quelques minutes, il me demande si je suis souvent venu ici. Ouais, Erwin et moi avons fait nos classes au camp où nous nous rendons. On traînait tout le temps dans le coin ; c'est même ici qu'il a rencontré Mary, elle y habitait. C'est toujours le cas aujourd'hui. La maison de Nile doit être dans les parages...

Nous arrivons bientôt à la porte ouest. Cela nous aura pris une bonne heure pour traverser Stohess, et malgré l'air frais, nous sommes en nage. Nous montrons nos papiers aux brigadiers de service, qui nous laissent passer sans problème. Encore quelques kilomètres à parcourir en rase campagne et nous atteindrons les camps. Pas de maisonnettes isolées, ou de fermettes dans les champs, car ceux-ci sont propriété du roi, qui y a autorisé l'établissement des camps d'entraînement mais pas de l'agriculture. Le paysage est plutôt sauvage, ponctué de forêts où les nobles ont leurs chasses. Le gibier est réservé à leur plaisir et leur loisir. Quand je pense à la tonne de choses qu'on pourrait faire pousser ici, c'est un tel gâchis...

Nous suivons le sentier à pied - des chevaux auraient coûté trop cher pour nous - et mes souvenirs retracent avec une certaine joie nostalgique la trace de mes propres pas dans la terre meuble retournée par le passage des chevaux au fil des ans. Après qu'on ai pissé sur le bord de la route, Livaï se retrouve devant moi et me demande en marchant à reculons ce que ça me fait de revenir ici. Aah, je ne saurais dire, nabot. Occupe-toi de tes fesses ! Ses joues sont rouges à force de marcher à ma vitesse et son souffle est court mais je vois aussi qu'il semble satisfait du voyage ; voir des nouvelles têtes nous fera du bien.

Ces jeunes soldats formeront la nouvelle fine fleur de l'armée ; lesquels d'entre eux nous rejoindront ? Et lesquels d'entre eux seraient susceptibles de travailler pour nos ennemis ? On va essayer de le savoir... si mon flair peut m'aider à sentir les suspects...

Les Chroniques de Livaï ~ Tome 2 [+13]Where stories live. Discover now