LES DESSINS RACONTENT DES HISTOIRES(octobre 845)Nile Dork

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J'attrape ma veste bien repassée qui pend près de la chambre

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J'attrape ma veste bien repassée qui pend près de la chambre. Je la passe par-dessus mon gilet immaculé puis enfile ma cravate à l'intérieur ; je finis en posant mon collier bolo à la pierre rouge bien en évidence sur l'étoffe, comme un joyau précieux. Je me regarde un moment dans le miroir en pied de Mary et essaie d'apprécier ma silhouette.

Je n'ai pas l'habitude de porter ce genre de costume - je m'y sens toujours serré - mais vu mon rang, je suis obligé de le sortir de plus en plus souvent. Et ce n'est pas fini, je dois couronner le tout d'un haut-de-forme. Il faut le placer de façon à ce qu'il ne puisse pas bouger, même sous un coup de vent, ce qui est toute une histoire. J'essaie différents angles, mais à chaque fois cela me donne une allure bizarre.

Mon reflet me paraît étranger. Je n'ai jamais eu pour ambition de ressembler à tous ces "grands" hommes qui se réunissent à Mitras pour courtiser le Roi. Le servir est un honneur bien sûr, mais frayer avec tous ces gens... C'est si loin de mes origines.

Je distingue la silhouette de Mary dans le reflet, emmitouflée dans son grand châle de laine beige. Ce châle ne date pas d'hier, elle le tient de sa mère et le portait déjà quand nous sortions nous promener au clair de lune. Il est d'une facture tout sauf luxueuse, avec tous ses poils hirsutes qui lui donnent l'apparence d'une fourrure de bête. Mais la femme qui le porte ne peut pas être enlaidie, quoiqu'elle porte. Les cheveux de Mary sont détachés et flottent sur ses épaules, se mêlant à la laine rustre... cette laine paysanne qu'elle aime tant...

Je me retourne et l'observe plus attentivement. On voit tout de suite qu'elle n'est pas en forme. Je peux presque deviner les frissons qui la secouent sous le châle. Elle porte sa robe d'intérieur rose pâle et ses mules à semelle plate. On la dirait prête à aller se coucher mais nous ne sommes qu'en milieu d'après-midi. Elle est un peu livide car elle supporte mal les changements de saison ; un coup de froid sans doute.

J'ai envie de la prendre dans mes bras mais, sentant mon intention, elle me conseille de n'en rien faire au risque de froisser mon gilet ou de faire des faux plis. Très bien, alors dis-moi comment tu me trouves. Elle rit doucement et me répond que je ressemble à un gentilhomme très comme il faut ; et que je n'ai pas besoin de cet attirail pour ça, car je l'ai toujours été. Oui, tu avais l'oeil. Tu as tout de suite su vers qui il fallait te tourner.

Elle soupire, fait quelques pas vers moi et rajuste le col de ma chemise sous mon gilet. Il ne devait pas être assez droit. Puis je fixe un moment ses grands yeux bleus, qui semblent gris sous la lumière terne du jour. Ne t'inquiète pas, ton absence sera excusée. Tu ne te sens pas assez bien pour tenir toute une longue soirée. Zackley comprendra. Je passerai le bonjour à tes amies de ta part. Elle me fait promettre de saluer également Erwin et Livaï, et j'approuve pour la tranquilliser.

Je t'avoue que l'idée que ces deux-là soient réunis à cette réception me cause à la fois de l'inquiétude et une grande impatience. Erwin a l'habitude de ces soirées, mais son caporal grincheux... je ne sais pas, je ne l'imagine pas parmi tous ces gens. Il n'a aucune manière ! Après tout, c'était un criminel, et...

Elle me fait taire et espère que je n'en dirai pas un mot. Bien sûr, je n'ai pas envie de faire de tort à Erwin ; et puis les journaux à scandales en ont déjà dit beaucoup, pas la peine d'en rajouter. Elle resserre ma cravate et je retiens à peine un rictus de malaise. Pas trop fort ou je vais arriver à bout de souffle ! J'ai de la route à faire. J'avais loué une voiture pour nous deux, mais je serais seul à y voyager. Ta présence me fait toujours du bien, elle me manquera ce soir. Elle tousse dans son châle et se désole de ne pas pouvoir être présente.

Je dois encore dire au revoir aux enfants. Elles sont dans leur chambre je suppose. Je m'y dirige, Mary sur mes talons. Notre aînée n'a pas encore réclamé de chambre à elle, car elle ne veut pas quitter sa petite soeur. Le jour viendra où elle voudra son propre espace et alors la pièce que nous venons de finir d'aménager fera sa joie. En attendant, nos deux trésors partagent la même chambre, qui se trouve au bout du couloir, après une volée de marches. Je m'y rends en quelques enjambées.

Je passe ma tête par la porte et les regarde jouer un moment. Elles empilent des cubes colorés et ne font pas attention à moi. Les jouets de petite fille sont alignés contre le mur, bien rangés, les poupées au garde-à-vous. En tant que bon père de famille et militaire, ma maisonnée se doit d'être irréprochable et un fidèle reflet de ma personnalité.

Mon aînée me remarque enfin, et elle soulève sa soeur du sol afin de la placer devant elle. Elle est brune comme moi et sa cadette a les cheveux blonds et bouclés de sa mère. Comme elles s'en amusent à chaque fois, elles essaient de faire devant moi le salut militaire mais cela tourne vite à la parodie. Il n'y a pas de moquerie dans ce geste ; ce n'est qu'une tentative enfantine de plaire à leur père.

Je m'agenouille devant elles et les regarde tour à tour. Mes enfants, votre père sera absent jusqu'à demain. Veillez bien sur votre mère, elle est un peu souffrante. Je compte sur vous pour lui apporter son lait chaud ce soir et ne pas faire de chahut pendant mon absence.

Elles hochent la tête en même temps et je me retourne vers Mary. Elle me plante un baiser au coin de la joue mais je ne suis pas assez rapide pour le lui rendre. Elle me souhaite une bonne soirée et une bonne nuit, car je coucherai à l'hôtel aujourd'hui.

C'est la première fois que nous ne dormirons pas ensemble depuis que nous sommes mariés.

Les Chroniques de Livaï ~ Tome 2 [+13]Where stories live. Discover now