Les Chroniques de Livaï ~ Tome 2 [+13]

QUI LAISSE UNE TRACE, LAISSE UNE PLAIE(avril 845)Hannes, capitaine de garnison

Ils sont vraiment nombreux cette fois. Et si j'en crois les trois chariots qu'ils emmènent, on va pas les revoir avant un moment. Ils sont rudement chargés... Mais où est-ce qu'ils vont réellement ? Qu'est-ce qu'il y a là-bas pour qu'ils aient envie de sortir ? Vraiment, je comprendrais jamais...

Je tends l'oreille au bruit de l'artillerie qui pilonne à l'extérieur. Il faut dégager la voie avant d'ouvrir la porte. Quand le moment sera venu, il faudra faire vite. Vu la longueur du convoi, nous allons devoir rester longtemps à découvert, alors le ménage doit être bien fait. Quand je suis monté sur le Mur Maria tôt ce matin, j'ai bien remarqué la foule de titans qui trainaient en bas. C'est toujours comme ça, avec les beaux jours, ils retrouvent leur appétit. Ces monstres...

Ce procédé en tuera peut-être quelques-uns mais les canons ne sont pas assez efficaces pour ça ; y a rien de mieux qu'une épée pour leur trancher le cou. Les explorateurs auront le champ libre pendant un petit moment. Le major, juste à côté, me jette un coup d'oeil en coin, prêt à décoller quand j'aurai donné l'ordre d'actionner les chaînes. Son cheval trépigne sur place et la tension est palpable. Je savais que ce serait un jour important, alors j'ai fait en sorte de garder tous mes esprits et j'ai pas picolé.

Mais ce qui me chagrine, ce sont les mômes. J'ai vu des parents éplorés se jeter aux étriers des nouvelles recrues tout à l'heure, en leur criant de pas y aller, et j'ai bien cru que me mettre à chialer aussi. Ces jeunes visages déterminés, ces esprits fermes et courageux, nous font honneur à tous. Mais c'est la fine fleur de notre jeunesse qui va peut-être au-devant de la mort aujourd'hui. Je regarde Shadis avec une petite dose de confiance, pas assez pour ne pas m'inquiéter ; ramenez-les, ces gosses.

Ah, je crois bien que l'artillerie a cessé. J'attends le signal venu d'en haut, qui doit me le confirmer, et en retour, je lève le bras et ordonne à mes subordonnés de soulever la herse. Ils pèsent sur les treuils et les chaînes grincent, ouvrant lentement - trop lentement - la herse restée fermée durant plus de trois mois. Ce son est sûrement celui qu'on entend aux portes de l'enfer...

Le major n'attend pas et commence déjà à s'engouffrer dans le tunnel menant à l'extérieur. Tout le monde suit le mouvement en ordre, au trot, et j'aperçois le chef Erwin, suivi de ses quatre soldats, puis des équipes sous ses ordres, s'avancer à leur tour. Les chariots s'ébranlent ensuite, puis la colonne défile de plus en plus vite. Je ne tarde pas à sauter sur mes pieds et à monter quatre à quatre l'escalier de pierre jusqu'au rempart.

Je scrute l'extérieur, les yeux baissés, et contemple le convoi qui passe cinquante mètres en dessous. Les chevaux de tête sont déjà loin, et j'aperçois des titans qui se précipitent sur eux. Evidemment, ce n'était pas suffisant. Mais apparemment, le major a tout prévu. Les vétérans de l'avant-garde se portent au-devant de l'ennemi, et je vois les géants tomber comme des mouche sous leurs coups. Ils sont en grande forme, y a pas à dire ! Ce spectacle me fait souffler un peu. Cette expédition sera peut-être un succès !

Les derniers passent sous l'arche et je mesure enfin la réelle importance du convoi. Ils doivent être un peu plus d'une centaine, à vue de nez. Pour qu'une telle cohorte puisse s'en sortir dans les terres inconnues, il faudra une sacrée coordination et une feuille de route très réfléchie. Je ne doute pas que Shadis ait planché dessus pendant un moment. Le convoi bifurque vers le sud-ouest. Heureusement, il devrait y avoir moins de titans par là. En plus, ils ont déblayé l'année dernière.

Enfin, il faut espérer, avec ces monstres, on est sûr de rien.