LES HEROS SONT CEUX QUI MEURENT(juillet 845)Livaï

460 53 21
                                    

Le voilà enfin

Oops! This image does not follow our content guidelines. To continue publishing, please remove it or upload a different image.

Le voilà enfin. Je commençais à me sentir mal à l'aise avec tous ces regards posés sur moi. Le couloir est pas encombré mais à chaque fois, ça loupe pas, il faut qu'on me dévisage. Fait chier...

C'est peu dire qu'on fait tache ici. Les explorateurs ne font pas partie du paysage habituel du QGR. Quand je pense qu'on va devoir crécher ici un moment, et supporter ces trous du cul tous les jours... Pitié, Erwin, dis-moi qu'on nous a dégoté un coin à l'écart où on viendra pas nous emmerder...

Il me fait signe et allonge le pas dans le corridor. Je fais de mon mieux pour tenir la distance mais quand il a la tête ailleurs, il oublie vite que je suis là. Ralentis, grande perche ! Bon alors, qu'est-ce qui te tracasse ? Ils vont nous coller à la cave ou quoi ? Il me répond en ralentissant un peu que la partie nord du bâtiment nous sera allouée temporairement, le temps qu'on trouve un autre endroit. Ouais, c'est pas le coin du débarras ou un truc du genre ? Presque, qu'il répond. En tout cas c'est une aile qui n'est d'ordinaire pas chauffée en hiver. Ok, on se les caillera l'hiver prochain. Mais on fera en sorte de plus y être. On a l'eau courante au moins ? Dis-moi que oui... Apparemment, les gradés logeront dans les appartements de l'étage et les soldats iront dans les dortoirs situés au rez-de-chaussée. Ouais, je m'en fous, je peux pioncer n'importe où, tant que tu as une salle de bain. Tu en as une ? Une baignoire ? Fais pression pour en avoir une alors.

Il me sourit en coin mais je sais que le coeur n'y est pas. Je fais semblant d'être en colère pour ne pas montrer ce que je ressens vraiment. Je suis encore à plat... Lui aussi il est fatigué. Et ce satané Shadis qui est introuvable ! C'est lui qui devrait s'occuper de ça ! Il est où ? Pourquoi tu fais son boulot ? Je sais pas si le bataillon continue, mais si c'était pas le cas, Erwin serait plus nerveux que ça. Nan, il cache quelque chose et il veut pas me le dire... Ok, garde tes secrets mais je finirai bien par savoir.

Il m'entraîne au rez-de-chaussée et durant le trajet, ma mémoire me ressert des trucs douloureux, dont je veux pas me souvenir... La lueur des flammes sur les murs de pierre tandis que Steffen me demande en hurlant où est Greta ; ma lâcheté face à sa douleur... J'ai préféré faire semblant de m'évanouir pour pas avoir à répondre. A moitié seulement ; j'en pouvais vraiment plus... J'ai marché comme un somnambule vers l'abri le plus proche et quand je suis entré, des cris de joie m'ont accueilli. Je connaissais pas ces gens mais eux ont dit qu'ils me reconnaissaient et qu'ils me remerciaient pour les avoir sauvés. Je pigeais rien... J'avais sauvé qui ? J'ai supplié Erwin de m'emmener ailleurs.

Une fois au calme, je me suis pris la tête entre les mains ; elle me faisait si mal et mes os craquaient à tel point que je pensais qu'ils se brisaient vraiment cette fois. J'avais encore à l'esprit cette dernière image de Greta, volant à la rencontre des titans, sans peur, avec l'espoir de tous les abattre. Elle était sublime à ce moment... J'aurais dû être là, j'aurais dû lui prendre son matos, à ce plouc... J'ai pas arrêté de marmonner ce genre de truc, et quand Hanji m'a apporté un bol de soupe chaude, mes muscles se sont détendus un peu. J'ai pu parler, et raconter ce dont je me souvenais. Pas tout ; je me rappelais pas comment j'étais revenu à Trost, j'ai laissé ma jument me porter. Je m'en rappelle toujours pas... Mais je m'en fous.

Pendant des heures, je me suis persuadé que Greta était pas morte, qu'elle allait se pointer le lendemain, toute crottée mais vivante ; je suis resté près de la porte, à attendre. C'était interminable. Steffen était avec moi et je sentais son regard chargé de reproche peser sur mes épaules. Il avait raison. J'aurais dû la protéger, la forcer à me donner son matériel et la faire fuir avec les autres. Elle aurait jamais accepté mais j'aurais dû essayer.

Puis, un signal. Les canons ont tonné une ou deux fois au-dessus de nos têtes et les portes se sont ouvertes. Il y avait tout un tas de bestiaux de ferme sur le seuil et ils ont déboulé à l'intérieur. Les titans s'intéressent pas à cette nourriture ; ils avaient sans doute traversé les plaines de Maria, livrés à eux-mêmes dans ses terres vidées. Il y avait aussi quelques chevaux ; des bêtes de bas mais aussi des montures militaires. L'une d'elles est venue à moi. Je l'ai reconnue.

C'était le cheval de Greta. Seul.

J'ai enfoui mon visage dans sa crinière et j'ai caché mes larmes à tout le monde. Je savais ce que ça voulait dire : aucun explorateur, aucun humain ne peut survivre sans monture face aux titans sur un terrain infesté. Et un cheval militaire n'abandonne pas son cavalier à moins que... Ses grands yeux doux et humides me le disaient, dans leur langage silencieux, bien à eux : "elle est partie..." Alors j'ai arrêté d'espérer et je suis rentré au QGR apprendre la nouvelle aux autres. Steffen était effondré mais il n'a pas dissimulé son chagrin, lui. Je ne me sentais pas digne de le réconforter...

La réaction d'Erwin était tout à fait dans son style. Il a mis ses mains sur nos épaules, les a serrées, a fermé les yeux en baissant la tête, et est reparti. Son attitude m'a presque rendu courage. Il n'est pas du genre à s'apitoyer trop longtemps sur une perte, il en a trop vu, bien plus que moi. S'il n'était pas si fort, je serais resté prostré plus longtemps ; même si la douleur est toujours là... Elle ne partira pas, elle ira rejoindre les autres, en silence, elle se fera toute petite pour ressurgir de temps en temps, quand j'irai mal.

Greta... tu seras toujours avec moi. Tu étais la plus brave de nous deux. J'aimerais l'être autant que toi un jour...

La voix d'Erwin me tire de mes souvenirs. Il me demande si j'ai lu le journal. Bien sûr, tout le monde me l'a mis sous le nez, j'ai pas pu y échapper. Il siffle "soldat le plus fort de l'humanité" entre ses dents serrées et je le supplie d'arrêter. Cette connerie me met sur les nerfs. Tout ça parce que j'ai sauvé quelques péquenots ! Ca vaut rien ! Ca fait pas de moi un héros ! Les héros sont ceux qui sont morts, et qui seront jamais remerciés. Jusqu'à ce que je me sacrifie comme eux, je mérite pas ce titre.

Je sais qu'Erwin est d'accord avec moi. Il pensait me changer les idées en évoquant cette première page. Je me souviens de l'interview d'une femme qui raconte qu'elle m'a vu me battre contre pas moins d'une dizaine de titans à moi tout seul. C'est franchement exagéré. Mais j'y peux rien. Les autres ont même dû faire barrage pour empêcher les curieux de venir m'interroger ; c'est à peine si je peux mettre un pied dehors maintenant que ma tête est connue.

A présent que l'agitation s'est calmée, on va enfin pouvoir "enterrer" nos morts. La cérémonie devrait avoir lieu bientôt. Je n'aurai pas de corps à mettre en terre, mais je n'espère qu'une chose : qu'elle ait pas fini dans l'estomac d'un titan et qu'elle soit morte avec les yeux ouverts sur le ciel...

Je ne le saurai jamais.

Les Chroniques de Livaï ~ Tome 2 [+13]Where stories live. Discover now