Les Chroniques de Livaï ~ Tome 2 [+13]

CHAQUE VIE FAIT SON DESTIN(août 845)Mike Zacharias

Mes nouvelles fonctions me plaisent bien. Créer une équipe à mon image, dotée de qualités équilibrées, cela risque de me prendre du temps mais Erwin ne m'a pas pressé. Je revois encore la tête de Livaï quand il nous a nommés chefs d'escouade ! Il n'a pas encore formellement accepté à ce qu'il semble, il y a donc une chance pour que j'hérite de l'escouade d'élite. Je dois garder ça en tête en observant les recrues potentielles.

Je pourrais piocher chez les vétérans, mais ceux qui m'intéressent ne sont pas disponibles. Il y a les jeunes, bien sûr. Servir sous mes ordres leur apprendrait la vraie discipline. Je les scrute depuis la réunion dans le bureau d'Erwin, en essayant de déceler avec mon nez lequel d'entre eux a une faculté cachée. A part Emmerich, aucun ne sort vraiment du lot, c'est bien dommage.

J'ai décidé d'assister à un exercice de vol avec les mannequins aujourd'hui, et de donner des notes. C'est la meilleure façon de trouver l'élite. Je ne connais pas encore les nouveaux, et je ne veux pas les laisser à Livaï s'il y a des prodiges. Je vais avoir du mal à tous les voir à l'oeuvre, à moins d'y rester toute la journée. Livaï a le don pour se retrouver partout à la fois ; on peut tomber sur lui en train de nettoyer les dortoirs, le bureau d'Erwin, ou ronchonnant sur le terrain d'entraînement devant les faiblesses des cadets en les notant impitoyablement. Je dois le prendre de vitesse et mettre la main sur les perles avant lui.

Je me dirige à cheval vers les bois où patientent les instructeurs du jour. Les élèves ne vont pas tarder. J'aperçois Gelgar et Nanaba, en attente, leurs cahiers à la main, le soleil dans le dos. Ils sont assis sur une grosse souche et discutent de façon animée. Nanaba donne une claque dans le dos de son chef d'escouade - Gelgar n'est pas du genre à la réprimander - et ils se mettent à rigoler tous les deux. J'aime leur compagnie. Ils savent quand il faut être sérieux et quand on peut plaisanter. Même si Gelgar a la main toujours un peu lourde sur la bouteille, même en service... Il faudrait qu'Erwin lui serre un peu la vis là-dessus.

Je les salue de la main et ils me répondent. Je ne les ai pas vus depuis un moment et leurs odeurs familières me parviennent avant leurs voix. Celle, fruitée et acidulée de Nanaba, et celle, capiteuse, de Gelgar. Ce sont des parfums francs, simples, qui reflètent leurs personnalités agréables. Eh bien, vous aussi, vous allez noter aujourd'hui ? Dites-moi un peu, vous avez repéré des choses intéressantes chez les recrues ?

Gelgar me demande pourquoi ça m'intéresse, et je me redresse, très fier de moi. Figure-toi qu'Erwin m'a nommé chef d'escouade il y a deux jours. Alors je fais mon marché. Il me faut les meilleurs des meilleurs, pour une équipe de choc, tu vois le genre ? Nanaba frappe dans ses mains pour me féliciter et Gelgar me regarde avec des yeux ronds. Eh, tu ne m'en crois pas capable ?

Il rétorque qu'il m'en croit tellement capable qu'il envie ceux que je vais choisir. Ne te fais pas d'idée, ce ne sera pas la rigolade tous les jours, loin de là. Cette escouade sera soumise aux missions les plus dangereuses et les plus importantes, c'est très sérieux. Je dois donner mon maximum et ceux qui me suivront aussi. Gelgar rétorque que ça lui ferait pas peur du tout. Ah oui ? Tu serais capable d'arrêter de boire pendant plusieurs jours d'affilée ? Il prend un air penaud et souffle bruyamment. Nanaba répond à sa place qu'il en serait capable, il faut juste qu'il se bouge un peu.

Au fait, Gelgar, tu dois toi aussi reformer ton équipe, tu as eu des pertes lors de la dernière sortie. Il hoche la tête mais ne se sent pas décidé à s'y mettre. Tu devrais t'y coller où tu n'auras que les restes. Car Livaï est aussi sur les rangs ! Oui, Livaï et moi avons été promus ensemble et celui qui formera en premier la meilleure escouade aura le premier rôle ! Enfin, Erwin ne l'a pas formulé comme ça, mais admettons...

Gelgar serre les poings et saute de la souche pour se planter face à moi. Il me dit que ça l'emmerde d'être chef d'escouade, qu'il en a pas la carrure ni la discipline. Que moi, en revanche, j'ai la tête de l'emploi et que rien ne le botterait plus que de servir sous mes ordres. Tu es sérieux ou tu as encore bu ? Son haleine ne sent pas l'alcool, il a l'air sobre. Nanaba approuve en disant que la paperasse n'a jamais été son fort et que c'était toujours elle qui devait s'en charger, quand elle n'allait pas le chercher ivre mort dans une taverne du coin.

Mmh, attends un peu, tu veux dire que tu démissionnes ? Non, qu'il répond, il veut être rétrogradé. Redevenir un simple soldat aux ordres d'un autre, c'est dans ses cordes. Et puis il boirait sans doute moins si son chef lui tirait les oreilles de temps en temps. Tu as besoin d'être encadré, c'est ce que tu veux me dire ? Je vois... Et le salaire ? Tu seras moins bien payé si tu quittes ton poste. Il ne semble pas s'en soucier et hausse les épaules.

Si j'ai bien compris, tu veux redevenir un simple soldat et entrer dans mon escouade ? Ils hochent la tête tous les deux. Nanaba ?... Elle affirme que si Gelgar prend cette décision, son équipe sera de toute façon dissoute, et que rien ne lui plairait plus que de faire partie de mon escouade. Ils me saluent, la main sur le coeur, et une onde de fierté traverse ma grande carcasse.

Je n'en reviens pas. Je cherchais encore ce matin, et cet après-midi, j'ai déjà deux recrues de choix !

Tandis que je tente d'assimiler tout ça, les élèves s'avancent derrière nous. Nous devons les mettre en position et leur faire vérifier leur harnachement avant le décollage. Gelgar et Nanaba restent collés à moi en me couvant des yeux, et je lis dans leurs regards qu'ils iraient en enfer avec moi sans hésiter. Ca fait chaud au coeur. Je ne pouvais pas imaginer deux subordonnés meilleurs que ces deux-là. Ils sont l'élite. Je devrais juste discipliner un peu Gelgar et il sera au top.

Et bien, je dois en parler à Erwin. Si c'est d'accord, il me restera juste deux autres recrues à dénicher. Mais vous deux, au moins, Livaï ne vous aura pas !

Un doigt impatient tapote mon épaule, et je me retourne pour me retrouver nez à nez avec Claus Emmerich, haussé sur la pointe des pieds, qui m'informe que les vérifications sont faites. On va pouvoir y aller alors. Mets les en position, puisque tu es si investi. J'en profite pour lui glisser au creux de l'oreille si ça l'intéresserait de faire partie de ma nouvelle escouade. Il sursaute presque comme si je l'avais brûlé, se frotte l'oreille énergiquement et s'éloigne à grands pas, rouge jusqu'au front.

Ben quoi, qu'est-ce que j'ai dit ? Il est vraiment timide quand il s'y met, celui-là !